Peter Brook

 

Peter Brook : Le Magicien du Théâtre

Mesdames et Messieurs, bienvenue dans l’univers de Peter Brook, l’homme qui a pris Shakespeare par la main et lui a dit : « Écoute, Will, si on secouait un peu tout ça ? »

D’abord, Brook est un révolutionnaire de la mise en scène shakespearienne. Il a transformé ces grandes pièces classiques en spectacles vivants, surprenants, et, soyons honnêtes, bien plus excitants que la version académique et poussiéreuse à laquelle tout le monde s’attendait. Il a osé les couleurs, le minimalisme, le chaos contrôlé… bref, il a rendu Shakespeare rock’n’roll !

Mais voilà, dans les années 1970, Peter Brook décide de faire ses valises et de traverser la Manche. Il s’installe à Paris (oui, Paris !), où il fonde le Centre international de recherches théâtrales (CIRT) avec Micheline Rozan. Là, il ne se contente pas de monter des pièces : il explore. Il cherche. Il démonte le théâtre comme un horloger démonterait une montre pour voir comment ça fonctionne. Résultat ? Un théâtre épuré, brut, universel, où le langage scénique devient une aventure sensorielle.

Et puis, détail amusant : dès son enfance, Peter Brook joue déjà Hamlet… avec des marionnettes ! (Oui, on sentait déjà le goût de l’expérimentation). Ensuite, il passe par Oxford, où il monte Doctor Faustus de Christopher Marlowe, avant de flirter avec le cinéma et d’adapter A Sentimental Journey de Laurence Sterne en 1944.

 

Peter Brook : L’homme qui cherchait le théâtre partout (même là où on ne l’attendait pas)

Peter Brook, c’est un peu l’Indiana Jones de la mise en scène : il explore, il fouille, il trouve du génie là où d’autres ne voient que de la poussière. Quand, en 1945, il monte Peines d’amour perdues, il choisit une pièce de Shakespeare que tout le monde snobe. Pourquoi ? Parce qu’il aime les défis et qu’il veut prouver que chaque texte cache une pépite. Spoiler alert : il avait raison.

Brook travaille Shakespeare comme un peintre joue avec sa palette. Son Roméo et Juliette en 1947 ? Ça sent le Giotto. Son Mesure pour mesure en 1950 ? Un joyeux cauchemar entre Bosch et Brueghel. Et puisqu’il n’a peur de rien, il met en scène Boris Godounov à Covent Garden en 1948 et secoue le monde de l’opéra.

Mais l’homme n’est pas sectaire. Il monte Sartre, Anouilh, Dostoïevski… il met en scène Titus Andronicus (1955) en jouant à fond la carte du thriller sanglant. Il pousse même l’audace jusqu’à utiliser la musique concrète, un style expérimental qui fait passer l’horreur de Titus de « glaçant » à « carrément terrifiant ».

Et Brook ne s’arrête pas là. Une comédie musicale ? Bien sûr ! Irma la Douce en 1959. Du Jean Genet ? Évidemment ! Le Balcon en 1960, avec une distribution hétéroclite qui mélange amateurs et professionnels, noirs et blancs, dans un joyeux bazar scénique qui préfigure son goût pour le théâtre universel.

Mais son véritable coup de maître arrive en 1962 avec Le Roi Lear. C’est là qu’il découvre l’« espace vide », ce concept magique qui consiste à se débarrasser des décors inutiles pour laisser place à l’essence pure du jeu. Ce Lear, inspiré par le théoricien Jan Kott, fait résonner Shakespeare avec la folie du XXe siècle : guerre, camps, absurdité… bref, du Beckett avant l’heure.

 

Peter Brook : l’homme aux deux visages (et aux mille idées)

Peter Brook n’aime pas les cases. En 1962, il rejoint la Royal Shakespeare Company… mais à une condition : pouvoir expérimenter librement, sans obligation de montrer quoi que ce soit au public. Un vrai savant fou du théâtre. Il crée donc un laboratoire, le Lamda Theatre, où il dissèque le langage de l’acteur. De là naît Le Théâtre de la cruauté, un hommage explosif à Antonin Artaud qui ne donne pas dans la dentelle.

En 1964, il frappe fort avec Marat-Sade de Peter Weiss, une pièce qui mélange politique et folie. Autant dire que ça décoiffe. Il s’intéresse aussi au théâtre documentaire et n’a pas peur des sujets brûlants : Le Vicaire (1963) qui attaque le silence du Vatican face à l’Holocauste, L’Instruction (1965) sur les camps nazis, ou encore US (1966), un réquisitoire contre la guerre du Vietnam construit à partir de témoignages.

Et puis, quand tout le monde pense qu’il est lancé dans une voie engagée, il surprend son monde (comme toujours) en montant Œdipus rex de Sénèque en 1968, un texte antique oublié, traité avec une rigueur ascétique. Résultat : Brook est insaisissable, un équilibriste entre théâtre documentaire et tragédie rituelle.

En parallèle, il réalise deux films issus de ses spectacles (Marat-Sade en 1967 et Le Roi Lear en 1971) et publie L’Espace vide en 1968, un livre qui devient une bible pour les gens du théâtre. On y retrouve ses idées sur un théâtre « brut », « immédiat », parfois « sacré », parfois « mortel » (ce dernier étant à éviter, évidemment). Il est aussi influencé par le penseur russe Georges Gurdjieff, qui prône un travail spirituel intense.

En 1968, invité par Jean-Louis Barrault, Brook anime un stage international au Théâtre des Nations. Mais les événements de Mai 68 viennent tout chambouler, et il finit par mener l’expérience à Londres sous le nom Les Exercices de la tempête. La rupture avec la Royal Shakespeare Company approche, mais avant de partir, il offre un dernier coup de maître avec Le Songe d’une nuit d’été (1970). Brook y introduit la mode du blanc, de l’acrobatie et de la magie façon Opéra de Pékin, transformant la scène en un immense terrain de jeu féérique.

 

Peter Brook : le voyageur infatigable des Bouffes du Nord

Peter Brook quitte l’Angleterre pour Paris et, débarrassé des contraintes classiques du théâtre, il se lance dans une quête quasi mystique : explorer la voix et le son primitif. Direction Persépolis, où il fait jouer sa troupe en langues anciennes. Résultat ? Orghast (1971), un mythe de Prométhée réinventé, à mi-chemin entre le théâtre et un rituel sacré.

Mais Brook n’est pas du genre à rester au même endroit. En 1972, il embarque sa troupe pour trois mois en Afrique. Objectif : comprendre comment le théâtre fonctionne quand on enlève tout – plus de texte prestigieux, plus de salle, plus d’aura d’acteur. Seule règle : jouer avec un objet concret, compréhensible pour tous (une botte, un pain, un chapeau). Résultat ? Une leçon d’improvisation grandeur nature. La troupe file ensuite aux États-Unis, rencontre des Amérindiens et collabore avec El Teatro Campesino, une compagnie militante.

Après ces voyages, Brook décide qu’il est temps de poser ses valises. En 1974, il s’installe aux Bouffes du Nord, une salle à l’abandon qu’il transforme en laboratoire idéal, entre vestige et refuge. Shakespeare n’est jamais loin : il commence par Timon d’Athènes (1974), pièce sur l’avidité humaine, avec une version modernisée par Jean-Claude Carrière.

Brook continue son exploration du théâtre sous toutes ses formes : en 1975, il adapte Les Iks, l’histoire d’une tribu en déclin ; en 1977, il monte Ubu aux Bouffes, où il laisse exploser son amour du « théâtre brut ». Puis, en 1979, il fusionne le grotesque et le sacré avec La Conférence des oiseaux de Farid al-Dīn Attār et L’Os de Birago Diop, utilisant masques et marionnettes pour créer un théâtre universel.

Dans les années 80, Brook surprend encore. Il bouscule La Cerisaie (1981) en lui injectant du dynamisme – exit la lenteur tchékhovienne – et réinvente Carmen avec La Tragédie de Carmen (1981-1983), une version dépouillée qui fusionne opéra et théâtre comme rarement auparavant. Cette passion pour l’opéra se poursuivra avec Impressions de Pelléas (1992) et Une flûte enchantée (2010).

Mais son chef-d’œuvre absolu arrive en 1985 : Le Mahābhārata, fresque épique de neuf heures montée dans la carrière de Boulbon, un espace brut et mythique. Ce spectacle est plus qu’une pièce : c’est une expérience hors du temps, où dieux et humains se confrontent avant une réconciliation finale. Plus tard, Brook revisite ce mythe avec La Mort de Krishna (2002) et Battlefield (2015).

 

Peter Brook : à la recherche du « théâtre premier »

Après une inoubliable Tempête (1990), Peter Brook amorce un tournant radical avec ce qu’il appelle « le cycle du cerveau ». Son théâtre devient épuré à l’extrême, concentré sur l’essentiel : la fragilité de l’esprit humain et sa perception du réel. Cette réflexion donne naissance à L’Homme qui (1993), inspiré des écrits du neurologue Oliver Sacks, et Je suis un phénomène (1998), basé sur les travaux d’Alexander Luria. Ces spectacles marquent un nouveau jalon dans son parcours : celui d’un théâtre de l’écoute, où le regard se pose sur l’indicible.

Brook n’abandonne pas pour autant son ancrage africain. Après Les Iks et L’Os, il monte Woza Albert (1989), Le Costume(1999) et Sizwe Banzi est mort (2006), œuvres dénonçant l’oppression et explorant la résilience. Il s’intéresse aussi au mystique malien Tierno Bokar (2004 et 2009), mettant en scène une sagesse africaine empreinte de spiritualité et de tolérance. L’Afrique, pour Brook, n’est pas seulement un décor : c’est un terrain d’expérimentation, un espace de vérité où le théâtre retrouve sa puissance originelle. Il confie d’ailleurs les rôles de Prospéro et Hamlet à des comédiens maliens, Sotiguy Kouyaté et Bakary Sangaré, affirmant ainsi son engagement dans une vision du théâtre résolument universelle.

Dans cette quête d’un théâtre premier, Brook collabore avec Marie-Hélène Estienne pour des spectacles comme Battlefield (2015), qui prolonge son Mahābhārata en interrogeant la confrontation entre destruction et renouveau, ou encore The Prisoner (2018), parabole sur la culpabilité et la rédemption. Jusqu’à la fin, Shakespeare reste son compagnon de route : après Shakespeare Resonance (2020), il propose Tempest Project (2022), un ultime regard sur l’œuvre qui l’a accompagné toute sa vie.

Avec Brook, le théâtre n’a cessé de se dépouiller, de s’affiner pour toucher ce qu’il appelait « le théâtre des formes simples ». Son œuvre, jalonnée d’expériences et de ruptures, a toujours tendu vers cet essentiel. Peter Brook s’est éteint à Paris le 2 juillet 2022, laissant derrière lui un héritage où le théâtre devient un art de l’épure et de la vérité.