Le théâtre élisabéthain

"The purpose of playing, whose end, both at the first and now, was and is, to hold as 'twere the mirror up to nature."

Hamlet, Shakespeare

Le théâtre élisabéthain, c’est un peu comme Netflix avant l’heure : des spectacles quotidiens, des acteurs professionnels et un public avide de divertissement. Né sous le règne d'Élisabeth Ire, il voit l’émergence des premières troupes permanentes, troquant les tournées éreintantes contre des scènes fixes où elles pouvaient peaufiner leur art (et leurs répliques dramatiques).

Tout commence en 1576 avec la construction du premier théâtre londonien, suivi d’une flopée d’autres, transformant la scène en une véritable industrie du spectacle. Les pièces, en vers blancs s’il vous plaît, abordaient des thèmes captivants allant de l’amour à la vengeance, avec une bonne dose de meurtres et de malentendus cocasses.

Et au sommet de cette effervescence théâtrale trône un certain William Shakespeare, dont les chefs-d’œuvre joués au Théâtre du Globe enflamment les foules et assurent que, des siècles plus tard, des millions d’élèves auront encore à se casser la tête sur Hamlet et Roméo et Juliette.

 

Elisabeth I et les Arts

L’ère élisabéthaine, c’est un peu la Renaissance… mais avec plus de costumes flamboyants et de dramaturges en quête de mécènes. Sous le règne d’Élisabeth Ire, le théâtre et les arts du spectacle explosent, en partie grâce à la reine elle-même, qui adore les représentations fastueuses et sait parfaitement utiliser le théâtre pour polir son image de souveraine dévouée (et farouchement célibataire, bien sûr).

Bien sûr, les Élisabéthains n’ont pas inventé le théâtre – merci les Grecs du VIe siècle avant J.-C. – mais ils l’ont propulsé à un niveau inédit. Fini les vieilles pièces moralisatrices et les spectacles religieux, place à des intrigues pleines de rois vengeurs, de poignards cachés et de monologues existentiels ! Naturellement, la couronne garde un œil sur tout ça : dès 1559, Élisabeth interdit les pièces non autorisées (trop d’idées révolutionnaires, ça pourrait donner des idées aux spectateurs). En 1572, seuls les nobles peuvent sponsoriser des troupes, et en 1574, une licence devient obligatoire pour jouer.

Les dramaturges s’adaptent et se lâchent : place à l’Histoire, à l’Antiquité, et à des récits épiques qui font vibrer un public de plus en plus nationaliste. Même Jacques Ier, successeur d’Élisabeth, continue le show en finançant trois compagnies d’acteurs. Bref, le théâtre devient the place to be, et des siècles plus tard, on continue de le jouer, de l’analyser… et de se demander pourquoi Hamlet ne s’est pas décidé plus tôt.

 

Acteurs professionnels et théâtre

Les acteurs élisabéthains, c’était un peu les rock stars de leur époque – avec moins de groupies et plus de perruques poudrées. La première troupe professionnelle à recevoir un agrément officiel appartenait à Robert Dudley, favori de la reine (comme quoi, être bien placé à la cour avait ses avantages). Ces joyeux drilles, les "Hommes de Leicester", sillonnaient le pays pour jouer devant la noblesse… mais il leur fallait bien une scène digne de ce nom.

Heureusement, en 1576, James Burbage, acteur et entrepreneur avant l’heure, ouvrit le premier théâtre permanent de Londres, sobrement nommé The Theatre (original, n’est-ce pas ?). Son succès fut fulgurant, poussant à la création d’autres salles comme le Curtain, le Rose et le Swan. Les nobles, coincés à la cour par Élisabeth, n’avaient rien de mieux à faire que d’aller voir des pièces – et ça tombait bien, car le théâtre devenait un véritable business.

Mais c’est en 1599 que tout bascule : The Theatre est déplacé de l’autre côté de la Tamise et rebaptisé Le Théâtre du Globe. William Shakespeare, flairant la bonne affaire, en devient actionnaire et se met à remplir la salle avec ses tragédies sanglantes et ses comédies où tout le monde finit marié (ou mort, selon l’humeur du jour). Avec une capacité de 2 000 spectateurs, des effets spéciaux bluffants pour l’époque (descente du ciel, trappes secrètes…) et une architecture à ciel ouvert, le Globe devient the place to be pour quiconque aime le drame et les alexandrins bien ciselés.

Le XVIIe siècle apporte son lot de nouveautés : les femmes jouent enfin des rôles féminins (adieu les garçons travestis), des décors mobiles font leur apparition, et – miracle ! – les pièces sont jouées plusieurs fois d’affilée, ce qui doit soulager les acteurs à la mémoire de poisson rouge. Bref, le théâtre professionnel s’installe pour de bon et, quelques siècles plus tard, Shakespeare est toujours là, refusant obstinément de passer de mode.

 

Shakespeare

William Shakespeare, c’est un peu le Mozart du théâtre, mais avec plus de crânes et de poignards. Né en 1564 à Stratford-upon-Avon, il ne devient célèbre qu’en 1592 (preuve que la patience paie). Deux ans plus tard, il rejoint les Chamberlain’s Men et finit par devenir un pilier du Théâtre du Globe, où il passe sa vie à concocter des intrigues retorses et des monologues inoubliables.

Shakespeare, c’est aussi un bourreau de travail : deux pièces par an, 37 au total. Pas de manuscrits originaux pour en attester (sans doute égarés entre deux assassinats fictifs), mais les historiens s’accordent sur un classement en quatre catégories : comédies, tragédies, histoires et romances. En d’autres termes, il excellait aussi bien dans les joutes verbales hilarantes que dans les bains de sang littéraires.

 

Ses pièces les plus célèbres ? Le Songe d’une nuit d’été (1596), où des fées s’amusent à ensorceler des amants confus ; Henri V (1599), où le patriotisme anglais atteint des sommets lyriques ; Hamlet (1601), où un prince danois passe cinq actes à hésiter ; et Macbeth (1606), où un roi écossais découvre que le meurtre compulsif n’est pas une bonne stratégie de carrière.

En bref, Shakespeare, c’est du drame, de l’humour, du meurtre, des jeux de mots dignes d’un stand-up et une postérité que même lui n’aurait sans doute pas osé imaginer.

 

Autres dramaturges et acteurs

Ah, les dramaturges élisabéthains ! Un mélange explosif de génie, de bagarres de taverne et de séjours en prison.

Juste après Shakespeare, on trouve Christopher Marlowe (1564-1593), qui, en plus d’écrire des pièces épiques comme Tamburlaine et Didon, reine de Carthage, menait une double vie d’espion. Malheureusement, son goût pour les altercations musclées lui fut fatal : il mourut dans une rixe de taverne (ou un assassinat digne d’une de ses propres tragédies, selon certaines théories du complot).

Vient ensuite Ben Jonson (1572-1637), qui, après avoir tenté (sans succès) une carrière de maçon, se retrouva en prison non pas une, mais deux fois – une fois pour avoir écrit une pièce trop subversive (L’Île aux chiens), et une autre pour avoir tué un acteur lors d’une dispute (certainement un désaccord artistique intense). Il finit cependant par devenir un dramaturge de renom, écrivant des pièces jouées au Globe, des poèmes et même des critiques littéraires (histoire d’expliquer aux autres comment mieux faire leur travail).

Côté acteurs, Richard Tarlton (mort en 1588) était une véritable star du stand-up avant l’heure. Bouffon officiel d’Élisabeth Ire, il la faisait rire… jusqu’à ce que ses blagues visent les mauvaises personnes. Fondateur des Queen’s Men, il écrivit des pièces populaires, dont Les Sept Péchés Capitaux (1585), et son personnage comique – un petit homme au pantalon bouffant armé d’un grand bâton – était l’équivalent élisabéthain de Charlie Chaplin.

En résumé, ces messieurs savaient jongler entre le succès, le scandale et les rixes d’ivrognes, tout en révolutionnant le théâtre. Rock’n’roll avant l’heure, non ?

 

Défis et héritage

Le théâtre élisabéthain n’échappa pas aux critiques et aux difficultés. À partir des années 1590, les puritains, de plus en plus influents, s’opposèrent fermement aux représentations théâtrales, qu’ils jugeaient immorales et corruptrices. Selon eux, les intrigues de meurtre, de vengeance et de romance détournaient les roturiers du droit chemin, une critique qui n’est pas sans rappeler les débats actuels sur la violence au cinéma. Ils considéraient également les théâtres comme des lieux mal famés, fréquentés par des oisifs et des criminels.

Les habitants des quartiers concernés partageaient souvent cette réticence, se plaignant du bruit et de la mauvaise réputation des théâtres. C’est d’ailleurs l’une des raisons du déplacement du Theatre, qui deviendra le Théâtre du Globe. Les employeurs, eux aussi, voyaient ces établissements d’un mauvais œil : les représentations ayant lieu en journée, nombre d’employés préféraient s’y rendre plutôt que de travailler. Cette inquiétude donna lieu à des pétitions adressées aux maires, qui firent pression sur le Parlement pour limiter les représentations. C’est pourquoi les premiers théâtres furent souvent construits en périphérie des villes, hors de la juridiction directe des autorités locales.

D’autres obstacles pesaient sur le théâtre, notamment les épidémies de peste. En 1592, une vague particulièrement sévère força la fermeture de tous les théâtres londoniens pendant un an. Par crainte de nouvelles épidémies, certains maires allèrent jusqu’à payer les troupes pour qu’elles ne jouent pas. Par ailleurs, les théâtres, construits en bois, étaient vulnérables aux incendies. En 1613, un tir de canon mal maîtrisé mit le feu au toit de chaume du Globe, qui fut réduit en cendres et dut être reconstruit l’année suivante.

Malgré ces défis, le théâtre élisabéthain s’imposa durablement dans la culture anglaise. Dès 1623, 36 pièces de Shakespeare furent rassemblées dans le Premier Folio, un recueil qui servira de référence pour de nombreuses rééditions tout au long du XVIIe siècle. En 1709, une édition annotée marqua un tournant dans la diffusion des œuvres du dramaturge, qui restent aujourd’hui au cœur de la littérature mondiale. Comme l’écrivait Ben Jonson dans la préface du Premier Folio, Shakespeare n’appartenait pas à une seule époque, mais bien « à tous les temps ».

 

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