Le théâtre grec
"Le théâtre est né des chants en l'honneur de Bacchus, où l'on mêlait la danse, le masque et la poésie."
Aulu-Gelle, Nuits attiques
Cette phrase résume bien l'idée que le théâtre trouve son origine dans les célébrations dionysiaques de la Grèce antique, où les éléments artistiques se combinaient pour créer une forme de représentation collective.
Comme le bouc était le symbole de la force vitale et de la fécondité, il était sacrifié lors des fêtes de Dionysos (Bacchos en grec et Bacchus en latin), appelées les bacchanales. C’est ainsi qu’est née dans la Grèce antique la tragédie qui signifie en grec « Le chant du bouc » (de tragos : bouc et de ode : chant).
On peut rappeler que ,pour les Grecs, Dionysos était le Dieu des vignes, du vin, du délire mystique et extatique, et aussi le Dieu du théâtre: sur une même figure divine ce superpose d’une part le transport provoqué par le vin, d’autre part le transport mystique de l’enthousiasme au sens premier du terme, et enfin celui provoqué par le verbe.
Le rituel religieux, comme le fait théâtral, ne se conçoivent pas en dehors d’une triple référence: a un espace organisé d’une part, a la parole incarnée, proférée et reçue d’autre part, à l’idée d’une participation collective et communautaire enfin.
"Le chœur dionysiaque est l'expression vivante de la communauté, la voix collective qui donne une âme au drame."
Friedrich Nietzsche, La Naissance de la Tragédie
Le Choeur:
Danse, chant : A l'origine , un chaos tournoyant qui vire à la confusion (trop de monde) . On imagine alors de faire tourner moins de personnes , les autres assistent.
Il y a déjà spectacle.
En l’honneur de Bacchos , les tourneurs chantent en choeur. Ils deviennent des choreutes (qui deviendront des satyres).
Au centre, un coryphé (porte-parole du choeur ) raconte et dé-
clame une histoire .
Thespis, est le premier coryphée , à se mettre un masque en stuc. Il invente le jeu d’acteur . Il incarne un personnage :
il ne raconte plus , il joue. Comme toutes les manifestations antiques le théâtre grec a une forte composante religieuse.
Cet aspect s’explique par son origine. En effet, il est né des hymnes en l’honneur de dionysos peu à peu transformé en pièces de théâtre: un chanteur se détache des autres et leur répond puis un acteur donne la réplique au choeur. Un 2e acteur puis un 3e sont introduits par Eschyle puis par Sophocle. De cette origine religieuse, le théâtre conserve des scènes rituelles (scène de deuil, de sacrifice, de supplication ) et des chants en l’honneur des dieux. Sur la scène se trouve un hôtel dédié à dionysos, intégré dans la mise en scène et dans l’action de la pièce. La statue du Dieu est transportée au milieu de l’orchestra, là où évolue le choeur, et y reste pendant toute la représentation.
Le chœur, dans la tragédie grecque, est un personnage collectif. Contrairement au héros, qui se distingue par son masque et son costume, le chœur est composé de personnes anonymes, toutes habillées de la même façon. Le chef du chœur, qu’on appelle le coryphée, parle pour tout le groupe mais ne se distingue pas par son apparence. En grec, un seul mot, choros, désigne à la fois le groupe et son chef.
Quand le chœur parle de lui-même, il utilise parfois « je » et parfois « nous ». De même, les héros peuvent s’adresser au chœur en utilisant le singulier ou le pluriel.
Le chœur représente la voix collective, celle de la sagesse et de la vérité. Contrairement aux héros, souvent marqués par leur démesure (leur excès), le chœur est humble et ancré dans la cité. Ses membres sont souvent des figures simples : jeunes filles, esclaves ou vieillards. Parfois, ce sont des personnages honorés mais incapables d’agir, comme les vieillards trop âgés pour combattre.
Malgré cette apparente modestie, le chœur utilise une langue riche et complexe, remplie de mots anciens et rituels. Cela montre ses liens avec les cérémonies religieuses et son rôle de gardien du passé mythique. En revanche, le héros parle une langue plus proche de la prose, plus simple et plus compréhensible pour le public athénien.
Ainsi, la tragédie grecque met en scène un conflit entre deux mondes : celui du mythe, où tout semble lointain et sacré, et celui de la cité, ancré dans la vie quotidienne des citoyens d’Athènes. Les héros incarnent souvent ces deux dimensions à la fois : ils sont des figures légendaires, mais ils agissent et pensent comme des Athéniens de leur époque.
L’entrée des choeurs se fait souvent par un chant lyrique, c’est le parados et la sortie, l’extrados. Durant la pièce, il exprime des commentaires prophétiques ou relatifs au passé, les pensées secrètes du personnages principal, ses impressions, ses sentiments par rapport aux événements de la pièce, il gémit des malheurs de l’humanité, implore l’assistance des dieux en faveur du personnage qui l’intéresse. . .
Le choeur produit des effets puissants et donne une intensité tragique à la pièce. C’est un ensemble uni, réuni pour une expression vocale à l’unisson ou instrumentale.
Placé dans l'orchestre, le chœur jouait un rôle de lien entre la scène et le public, commentant l'action et guidant l'interprétation des événements pour les spectateurs.
Dans la tragédie grecque, le chœur joue aussi un rôle essentiel dans la dramaturgie. Il fonctionne un peu comme un entracte dans le théâtre classique, en permettant de faire avancer le temps rapidement. Par exemple, dans Agamemnon, un chant du chœur relie l’annonce de la victoire grecque à Troie à l’arrivée du roi de retour de la guerre.
Le chœur permet également de raconter des événements qui ne peuvent pas être montrés sur scène, comme le sacrifice d’Iphigénie dans la pièce d’Euripide ou encore le suicide de Jocaste et l’aveuglement d’Œdipe dans Œdipe roi.
D'un point de vue pratique, le chœur donne aux acteurs le temps de changer de costume et de masque. Dans les représentations antiques, un acteur devait souvent jouer plusieurs rôles. Par exemple, dans Iphigénie à Aulis, le même acteur jouait probablement à la fois Agamemnon et Achille, tandis qu’un autre jouait Clytemnestre et Ménélas, et un troisième, Iphigénie, le Vieillard et le Messager.
Quand les auteurs écrivaient leurs pièces, ils devaient penser à ces changements de rôle pour que tout puisse être joué correctement sur scène. La construction des tragédies tenait donc compte de la manière dont elles allaient être représentées.
Si, aujourd'hui, le chœur est de la tragédie grecque "ce qui a sombré totalement", pour reprendre l'expression de Roland Barthes9, c'est qu'il a disparu complètement de notre vie sociale. Quelle que soit la manière dont il est traité dans la représentation contemporaine, que son nombre soit augmenté ou diminué, que l'on nous offre, selon les cas, "d’harmonieuse et froides promenades ou bien une sorte de transe archaïque et sauvage"10, l'impression ne peut être qu'artificielle, car sa présence n'a plus pour nous l'évidence qu'elle avait dans la tragédie grecque.
"Le théâtre grec est né au cœur de la cité, non pas comme un divertissement, mais comme une institution civique où les citoyens étaient invités à réfléchir ensemble sur le destin humain, les lois et les dieux."
Le contexte historique
Le Ve siècle av. J.-C. est l'âge d'or d'Athènes, et c'est à cette époque que le théâtre grec atteint son apogée. Athènes, sous la direction de Périclès, devient une démocratie florissante, et le théâtre est central dans la vie publique.
La naissance de la tragédie est inséparable de l’organisation civique, de l’élaboration de la démocratie athénienne. C’est la période où, dans les cités grecques, s’institue le droit, où sont fondés des tribunaux, composés de citoyens, chargés de porter des jugements. Le développement intellectuel est en cours, avec la médecine, la géométrie, la philosophie...
On assiste à une rupture avec une façon de penser archaïque. Nous sommes dans une période intermédiaire : les héros mythologiques, célébrés comme des valeurs, sont désormais mis en question. La tragédie arrive à ce moment-là.
Le théâtre avait une fonction pédagogique et morale pour les citoyens grecs. C'était un lieu de débat public où les enjeux de la cité étaient discutés de manière dramatique. Les spectateurs étaient invités à réfléchir sur leur rôle dans la société, leurs croyances, et leurs valeurs, à travers les dilemmes et les conflits présentés sur scène.
Le théâtre servait également à renforcer la cohésion sociale et à exprimer des questionnements collectifs en période de crise.
La guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte, qui dure de 431 à 404 av. J.-C., a un impact majeur sur le théâtre grec, notamment sur les thèmes abordés dans les pièces.
- Les tragédies de cette période reflètent le désarroi et les tensions sociales et politiques engendrées par le conflit. Euripide par exemple, utilise la guerre pour explorer les aspects destructeurs de la violence et les souffrances humaines.
- Aristophane, dans ses comédies, se fait le critique acerbe de la politique athénienne de l'époque, en particulier de la guerre et de ses dirigeants. Ses pièces comme Les Acharniens ou Les Oiseaux sont des critiques de la guerre du Péloponnèse et de ses conséquences sur la société.
La guerre du Péloponnèse se termine en 404 av. J.-C. par la défaite d'Athènes, marquant un tournant dans l'histoire de la cité et du théâtre.
- La démocratie athénienne est affaiblie, et l'impact de cette défaite est visible dans le théâtre. Les dramaturges commencent à se tourner vers des sujets moins directement politiques et plus centrés sur les aspects humains et sociaux.
- La comédie ancienne fait place à la comédie moyenne, qui est moins axée sur la satire politique et sociale directe et se concentre davantage sur les intrigues privées et les relations humaines.
Après la guerre du Péloponnèse, la Grèce entre dans une période de troubles politiques qui culmine avec la montée en puissance de la Macédoine sous Philippe II et son fils Alexandre le Grand. Bien que le théâtre grec ne soit plus aussi central à cette époque qu'auparavant, il continue de se développer.
- La comédie nouvelle, qui émerge au IVe siècle av. J.-C., se distingue par un changement de ton. Les dramaturges comme Ménandre abandonnent la satire politique et se concentrent sur des thèmes plus personnels et sociaux, explorant les relations humaines et les mœurs de la société.
- Le théâtre devient moins politique et davantage orienté vers la comédie de mœurs et la représentation de la vie quotidienne, un genre qui se diffusera dans tout le monde hellénistique et romain.
Après la conquête d'Athènes par Rome en 146 av. J.-C., le théâtre grec subit une transformation importante. Cependant, les pièces grecques continuent d'influencer la culture romaine.
- Le théâtre grec est joué et adapté à Rome. Des auteurs romains comme Plaute et Térence s'inspirent des comédies grecques et les réinterprètent dans un contexte romain.
- Le théâtre grec reste un modèle pour les dramaturges de l'Empire romain, influençant des auteurs comme Senèque, qui écrit des tragédies inspirées de la tragédie grecque.
Les Dionysies étaient bien plus qu'un simple festival ; elles étaient un acte de communion entre les citoyens, les dieux et les mythes, un espace où la scène devenait un miroir des aspirations et des contradictions de la cité."
Les Dyonisies
Les représentations théâtrales grecques faisaient partie de grandes fêtes religieuses. Par exemple, les Grandes Dionysies, en l’honneur du dieu Dionysos, duraient six jours.
- Le premier jour était marqué par une grande procession : on sortait la statue de Dionysos de son temple pour l’installer solennellement au théâtre.
- Les deux jours suivants étaient réservés à un concours de dithyrambes (chants choraux).
Un concours, qui met en concurrence trois poètes tragiques pendant trois jours, au terme desquels l’un d’eux reçoit un prix. Pour cela, on désigne trois citoyens, chacun chargé de piloter une "écurie" de poètes et d’interprètes. Ces citoyens doivent s’occuper de la "mise en scène" de la tragédie écrite par le poète qu’ils ont retenu. En même temps, un chef de chœur est désigné. Ce dernier est également un citoyen, comme les acteurs - qui vont très vite devenir des professionnels et les membres du chœur, composé uniquement de jeunes garçons de la cité.
- Les trois derniers jours étaient consacrés aux représentations théâtrales : chaque matin, une tétralogie (trois tragédies et un drame satyrique) était jouée, et chaque après-midi, une comédie.Pour le concours, chaque équipe doit présenter trois tragédies et un drame satirique. Au terme de ces trois jours, un tribunal désigne le lauréat. Comme pour les tribunaux chargés de juger les affaires de droit, il est composé d’un certain nombre de citoyens tirés au sort. Le fait que ce soit un tribunal qui décide de l’attribution du prix, au nom de la cité, est une innovation institutionnelle en total accord avec les règles de fonctionnement de la cité.
Avant les spectacles, d’autres processions et festivités avaient lieu. Si l’on additionne tous les participants – rien que les chœurs dithyrambiques comptaient 50 membres chacun – c’était bien plus d’un millier de personnes qui prenaient part à ces événements. Ces fêtes avaient donc une immense importance pour la cité. Pendant cette période, toute la ville, comme le dit Jean-Pierre Vernant, « devenait théâtre ».
On peut dire ainsi qu’avec la tragédie, c’est la cité qui se joue elle-même devant le public. Car tous les citoyens peuvent assister au spectacle . A la fin de la période classique, on va même attribuer une somme d’argent à ceux qui sont trop pauvres, pour qu’ils puissent eux aussi assister au spectacle. C’est donc bien l’ensemble du corps social qui est rassemblé en un lieu institué et construit à cet effet.
C'est aussi le moment où des auteurs comme Eschyle, Sophocle, Euripide et Aristophane produisent leurs œuvres majeures. La tragédie se distingue par son traitement du destin, de la moralité, de la condition humaine et des rapports entre l'homme et les dieux. La comédie devient également un moyen de critiquer la société et les personnalités politiques, comme dans les pièces d'Aristophane.
"Le théâtre grec met en scène l'homme face à des forces qui le dépassent : les dieux, la fatalité, la cité, mais aussi ses propres passions. Il interroge l'universel en partant du particulier."
Jean-Pierre Vernant , Mythe et tragédie en Grèce ancienne
Le destin et la fatalité:
Dans la tragédie, les personnages sont souvent pris dans des engrenages tragiques dictés par des forces divines. Les conflits entre la volonté humaine et le destin sont centraux.
Dans l’épopée, les héros - Achille, Ulysse - sont présentés comme des modèles, tandis que, sur la scène de la tragédie, on représente surtout la façon dont le héros va être confronté à d’autres personnages et à ses propres actions. Il y a un moment où le héros se pose la question : "Que faire ?" Agamemnon s’interroge : est-ce que j’ordonne le sacrifice d’Iphigénie pour débloquer les vents et, du coup, partir venger l’honneur des Grecs ? Ou est-ce que j’épargne ma fille aimée ? Dans ce cas je ne me couvre pas les mains du sang de ma propre existence, de mon propre sang. Mais alors l’expédition de Troie n’a pas lieu, et l’armée dont je suis le chef peut m’accuser d’avoir trahi ses espoirs. Le dilemme où se trouve un personnage est le moteur de l’action tragique. La tragédie présente l’homme en situation d’agir, face à une décision qui engage tout ; et il va choisir ce qui lui semble le meilleur. Or, en faisant ce choix, il va en quelque sorte se détruire lui-même. Car son acte - son petit acte - va prendre un sens tout différent de celui qu’il avait imaginé et il va revenir sur lui comme une sorte de boomerang. Cet homme, qui croyait bien faire, va apparaître comme un monstre ou un criminel. Il y a une illusion à croire que l’homme est maître de ses actes, nous dit la tragédie.
La Justice et la Loi:
Les tragédies grecques explorent les tensions entre la justice humaine et la justice divine. Des personnages comme Antigone questionnent la légitimité des lois et les valeurs morales.
L’homme est d’autant plus problématique qu’il est non seulement en situation d’agir - il croit bien faire alors que le résultat est presque toujours une catastrophe - mais aussi qu’il est très difficile de décider s’il est coupable ou innocent. Derrière la tragédie, il y a une interrogation générale :quel est le rapport de l’homme à ses actes ? Dans quelle mesure en est-il réellement l’auteur ? Son acte n’est-il pas la résultante d’autres éléments, dont il ne percevra l’existence que trop tard ? De ce fait, est-il innocent, ou coupable ? Qu’est-ce que la culpabilité ? La faute et l’innocence ne sont-elles pas mêlées ? N’y a-t-il pas derrière les actions des hommes les drames, les crimes, les plaintes, les deuils, puisque c’est toujours du sang qui coule, à chaque moment, se manifestant dans le texte lui-même, la présence des dieux ? Il est, lui aussi, ambigu et contradictoire, puisque les divinités qui interviennent sur la scène tragique sont elles- mêmes divisées. Il ne s’agit pas de condamner, il s’agit démontrer les difficultés à comprendre ce qu’est l’homme dans ses rapports avec un univers ambigu. La tragédie est une forme de cette interrogation sur l’homme et le monde, sur le juste et le vrai. Elle exprime une profonde ambiguïté.
Les Relations entre Hommes et Dieux:
Le théâtre grec examine les rapports souvent conflictuels entre les mortels et les divinités, mettant en lumière la fragilité et l'arrogance humaines.
La Société et la Politique:
La comédie, en particulier chez Aristophane, critique les politiques d'Athènes, les guerres, et les figures de pouvoir, utilisant l'humour comme moyen de réflexion sociale.
"La tragédie succède à l'épopée, et elle la surpasse, car elle concentre l'action et rend le récit plus vivant grâce à la représentation."
Aristote, La poétique
La création d’un genre littéraire nouveau:
Avant la tragédie, on a la poésie épique - Homère, Hésiode - et la poésie lyrique.
Mais cette poésie est une œuvre de pure audition : le poète n’est pas fait pour être lu, mais entendu, dans des réceptions privées ou dans les grandes fêtes de Delphes ou d’Olympie. Il chante les hauts faits des héros légendaires.
Les tragédies grecques suivent une structure canonique décrite par Aristote : alternance entre des épisodes parlés (monologues ou dialogues) et des chants du chœur (stasima). La pièce commence par un prologue exposant la situation, suivi de la parodos (entrée du chœur). Le dernier épisode précède l'exodos (sortie du chœur). Il y avait aussi presque toujours dans la tragédie un moment où l'émotion atteignait un tel degré d'intensité que la parole faisait place au chant : c’était le commos, champ alterné entre le chœur et un personnage (tel celui que l'on trouve dans Agamemnon entre le chœur et Cassandre, saisie de transes prophétiques). Le chœur, présent tout au long de la pièce, est un élément central du théâtre antique. Les tragédies, écrites en vers, alternent entre des vers iambiques pour les dialogues et des rythmes plus complexes pour les chants.
La tragédie marque la création d’un genre littéraire nouveau. Avec elle, nous avons affaire à quelque chose de complètement différent : un spectacle. Ce sont les mêmes personnages, les mêmes récits, les mêmes mythes ; mais, alors que le poète épique chantait les exploits des héros, avec la tragédie le public voit les héros sur scène, en train d’accomplir leurs exploits. Et ça change tout. Les héros sont là, devant la foule, en chair et en os, comme s’ils étaient vivants.
Quand l’Athénien du Ve siècle voit Agamemnon, Clytemnestre ou Oreste se promener sur la scène, il sait bien qu’il a affaire à ce que nous appellerons plus tard l’illusion théâtrale". Il comprend évidemment que c’est un spectacle qui est monté, organisé, avec des problèmes de perspective et de décor qui se posent dès le départ. La tragédie suppose et fabrique à la fois la conscience du fictif.
Fabrique de l’imaginaire:
Un art branché sur l’imaginaire, qui fabrique des "fantômes", irréels ou qui relèvent d’un autre type de réalité, ne va pas de soi d’emblée.
Cet art a besoin d’être longuement élaboré. A Athènes, il se fabrique sur les scènes du théâtre. Et l’émergence de l’art théâtral est lié à l’apparition d’une catégorie de mots, "mimemis", "mimema", "mimeistai" : mimer, imiter, imitation.
La tragédie va imiter ce qui s’est passé. Le fait qu’il y ait un espace scénique limité, que le public doive voir des actions enchaînées par des liens forts sur le plan logique et esthétique, tout cela fait qu’il y a une condensation de l’action.
De ce fait, l’organisation de l’espace tragique est assez stricte.
Aussi toute tragédie est-elle une sorte de totalité, comme un œuf, plein, fermé sur lui-même : un monde enclos dans l’espace et dans une temporalité définie. Et ce monde, c’est justement celui d’une fiction, d’une imitation de quelque chose. Aristote affirme que la tragédie est une imitation des actions humaines.
Le personnage tragique purge les souffrances:
Le personnage tragique accumule sur lui toutes les souffrances et toutes les horreurs du monde. De sorte que le spectateur est à la fois saisi de terreur et de pitié, mais en même temps (c’est la théorie d’Aristote) ces sentiments de terreur et de pitié vont se trouver purifiés, comme des mauvaises humeurs que l’on expulse. Par le biais de la représentation, avec ses règles - unité de lieu et de temps, tension de l’intrigue tragique -, cette "infirmité" humaine est présentée sous un éclairage qui en fait des éléments porteurs de beauté. L’émotion que l’on éprouve - la terreur mêlée à la pitié - se trouve purifiée par la force du rythme et de la poésie. Car elle est transposée sur un autre plan que celui de la vie quotidienne ou de l’expérience personnelle.
Et comme le dit encore Aristote, elle devient spectacle tragique. Celui-ci montre à quel point la chaîne des événements était probable et nécessaire. Et le fait que cet enchaînement soit mis en scène pour en marquer à chaque moment les articulations revêt pour l’esprit quelque chose de très satisfaisant. Il y a une intelligibilité du destin et de la problématique tragique qui fait que
l’on sort de là secoué mais heureux : purgé.
"La scénographie du théâtre grec, avec son espace ouvert et son horizon dégagé, fait du drame une rencontre entre les hommes, les dieux et la nature."
Le théâtre grec se joue en plein air, dans un endroit choisi pour ses qualités acoustiques.
Les gradins sont creusés à flanc de colline : c’est le Théatron , c’est à dire le lieu d’où l’on voit et d’où on a des visions mystiques.
Le public continuait à boire pendant les représentations et était disposé plein sud ce qui devait aider à l’éblouissement et à l’enthousiasme.
Le spectacle a lieu dans 2 endroits distincts :
1. L’orchestra, de forme ronde, où évolue le choeur
(chant et danse)
2. Le proskénion où joue les acteurs, devant la skénè qui est le mur de scène et qui comporte trois portes(loge des acteurs) sur lesquels sont accrochés les décors et derrière lequel se trouvent les coulisses.
Du point de vue des gradins - espace symbolique:
Les gradins étaient ouverts sur la ville, le paysage et les lieux sacrés environnants. Mais leur disposition rigoureusement organisée autour du centre de l’orchestra orientait le regard des spectateurs vers les acteurs et vers la cérémonie. D’autres éléments d’architecture évitaient au regard du public de se disperser : le temple de Dyonisos d’une part, le proskenion et la skènè d’autre part.
Le temple de Dyonisos était toujours situé derrière la skènè, à la vue du public, et de côté par rapport à l’axe de symétrie du théâtre. Lors des cérémonies théâtrales, la présence du divin étaient ainsi dédoublée, et renforcée, à la fois cachée et montrée :
- cachée mais signifiée, par la présence du temple, constamment dans le champs visuel du public ;
- et montrée, par la présence de la statue du dieu dans l’axe du théâtre.
La skènè - espace symbolique:
La skènè est une construction basse, en bois, puis en pierre située en arrière du proskènion , appuyé au mur de soutènement de l’orchestra. Proche du temple de Dyonisos, lieu caché ddu dieu, elle était le lieu de l’acteur caché.
Dans le théâtre grec, la frontière symbolique se situe à l’arrière du proskènion, à la façade de la skènè : cette frontière marque le permis de voir, quand il se manifeste aux hommes, par l’intermédiaire de la liturgie, de la représentation théâtrale et par les visions qu’elles peuvent engendrer.
On peut aussi rappeler que l’origine même de Dyonisos porte la trace de la notion d’interdit lié à la vue directe du dieu : la mère de Dyonisos, Sémèlè, une jeune et belle mortelle aimée par Zeus, mal conseillée par la jalouse Héra, avait voulu voir Zeus. Elle mourut, aveuglée et consumée, d’avoir vu le roi des dieux dans sa gloire, d’avoir transgressé l’interdir fondamental. Dionysos, le fils de Zeus et de cette mortelle brûlée d’avoir vu l’interdit, servait ainsi d’intermédiaire du divin : les fêtes dionysiaque et le théâtre permettaient la manifestation du divin, tout en signifiant toujours clairement l’interdit de la vue directe.
L’architecture et la scénographie du théâtre grec en portent la trace, par la frontière et le passage qu’elles établissent entre le temple et la skènè d’une part, et d’autre part l’aire de jeu des acteurs et l’espace public.
Les masques:
Les masques étaient conçus de manière à exagérer les expressions faciales, amplifiant ainsi les émotions des personnages .
Ils permettaient aussi de projeter la voix dans les vastes théâtres. Cela permettait au public de comprendre plus facilement les sentiments et les intentions des personnages, renforçant l’impact émotionnel de la performance. Les masques étaient également utilisés pour indiquer le genre, l’âge, la classe sociale et d’autres caractéristiques des personnages. Cela facilitait la compréhension des rôles et renforçait les conventions dramatiques. Il y a 4 sortes de masques en Grèce antique : ceux de la tragédie qui inspiraient la terreur, ceux de la comédie qui accentuaient le ridicule, les drames satyriques représentaient des monstres, et enfin les masques des danseurs.
Le costume tragique était le même que le costume représenté sur la statue de Dinoysos, et porté par le grand prêtre : ainsi lors des représentations tragiques, la statue du dieu, le grand prêtre et les protagonistes portaient des costumes semblables, ce qui devait faciliter l’assimilation entre représentation et présence du transcendant.
Décors et machinerie:
Le théâtre grec antique était caractérisé par sa simplicité architecturale et son utilisation minimale de décors et de machinerie.
Les décors étaient souvent symboliques plutôt que réalistes. Les pièces étaient conçues pour mettre l’accent sur l’action et les dialogues plutôt que sur une représentation visuelle détaillée de l’environnement.
La machinerie était très limitée dans le théâtre grec antique. Les acteurs utilisaient principalement des éléments de costume, des masques et des accessoires pour indiquer leur rôle plutôt que de s’appuyer sur des changements complexes de décor.
Résumé:
La tragédie grecque figure donc plusieurs espaces. 3 espaces dramatiques, ou espace de représentation : l’espace des dieux, l’espace des héros et celui du choeur. Et un lieu théâtral réel, celui du public. Cependant, on peut comprendre combien le choeur fonctionne comme un relais qui se situe à l’intersection du monde de la fiction et celui de la cité, déterminons ainsi un jeu complexe qui permet le dialogue entre l’un et l’autre, entre les espaces de fiction et le lieu du public.
Une famille maudite :
Les Atrides
"Les Atrides incarnent la violence fondatrice, ce nœud de sang et de vengeance qui lie les générations et interroge l'ordre même de la justice humaine et divine."
Jean-Pierre Vernant, dans "Mythe et tragédie en Grèce ancienne"
Le fondateur des Atrides : l’abominable Tantale
Le nom des "Atrides" doit son nom à Atrée, mais le fondateur de cette famille n’est autre que Tantale. Fils de Zeus et de la nymphe Plouto, Tantale était un des rares mortels reçus à la table divine de l’Olympe.
Mais il abusa de ce droit : il ramena de l’ambroisie pour essayer d’en confectionner sur Terre et tenta de séduire Héra, la femme de Zeus. Et lorsque il reçut les Dieux à manger dans son palais, il leur servit son fils Pélops. Mais les dieux comprirent rapidement sa "ruse" et seule Déméter, affamé, mordit à un bout de l’épaule de Pélops. Alors, les dieux ramenèrent Pélops des Enfers,lui mirent une épaule en ivoire, lui donna le trône de son père et condamnèrent Tantale à une éternité dans les Enfers : son supplice fut qu’il baignait dans un lac, mais lorsque il essayait de goûter l’eau, le niveau de l’eau baissait. Et de plus, il y avait une branche avec des fruits qui pendait au-dessus de sa tête, mais lorsqu’il essayait d’attraper la branche, elle s"enlevait" de ses mains. Ainsi est son supplice pour l’éternité.
Atrée et Thyeste:
Fils de Pélops et Hippodamie, Atrée et Thyeste tuèrent leur demi-frère Chrysippe. Après ce fratricide, ils se réfugièrent à Mycènes, et à la mort du roi, essayèrent de se partager le trône.
Pourtant, ce ne fut pas un conflit facile : après de nombreuses violences et trahison, il fut tranché par le dieu Zeus qui choisit Atrée comme souverain.
Ce dernier qui découvrit rapidement que sa femme Aeropé l’avait trompé avec Thyeste, exila son frère.
Mais, ensuite, Atrée le convia à un festin. Et à ce festin, Atrée servit à manger les fils de Thyeste, Pléisthène et Tantalos. Thyeste, enragé, déclara alors la malédiction terrible sur les descendants d’Atrée. Il consulta également l’oracle de Delphes, mais qui lui conseilla d’avoir un enfant avec sa propre fille, pour venger Atrée. C’est ce que fit Thyeste : il viola sa fille, qui donna naissance à Egisthe, le fruit de la vengeance de Thyeste, celui qui, un jour, vengerait son père.
Aguamemnon et Ménélas:
Les fils d’Atrée et Aeropé, Ménélas et Aguamemnon devinrent de grands rois. Ils combattèrent tous les deux à Troie. Aguamemnon, roi de Mycènes, le "roi des rois" maria Clytemnestre,et le couple eut Iphigénie, Electre, Oreste et Ismène.
Agamemnon est choisi comme commandant en chef de l’expédition contre Troie et doit affronter une terrible décision personnelle : ordonner le sacrifice de sa fille Iphigénie, réclamé par le devin Calchas pour apaiser le courroux de la déesse Artémis, et permettre ainsi à la flotte grecque de quitter la rade d’Aulis où l’absence de vents la tient désespérément immobilisée.
C’est ce que fit Aguamemnon, ce qui lui permit de partir pour Troie, mais en revanche, il s’attrapa le courroux de sa femme, Clytemnestre, qui ne lui pardonnera jamais.
A Troie, Aguamemnon eut comme otages Chryséis et Briséis, tandis que sa femme prit comme amant Egisthe.
Mais lorsque les Grecs remportèrent la bataille contre les Troyens, Aguamemnon revint à Troie accompagné de sa concubine Cassandre. Et alors, Clytemnestre et Egisthe les assasinèrent de coups de couteaux.
La vengeance d’Oreste et Electre:
Suite au meurtre de leur père, Electre fit élever Oreste loin de Mycènes, pendant qu’elle préparait leur vengeance contre leur mère. Sept ans plus tard, Electre reprit son frère, maintenant adulte.Après avoir médité une vengeance effroyable, Oreste, Electre et Pylade (un ami d’Oreste) se décidèrent à frapper : Pylade assassina Egisthe, tandis qu’Oreste, poussé par sa soeur, tua Clytemnestre, sa mère.
Mais après avoir commis cet horrible crime, Oreste fut poursuivi par les Erinyes (divinités de la vengeance). Il s’engagea ensuite en un long pélérinage de purification avec son ami Pylade. A leur retour, Pylade épousa Electre et Oreste épousa Hermione (la fille de Ménélas et Héléne), mais aucun des couples n’eurent d’enfants.
Suivant la trilogie d’Eschyle, L’Orestie, la conduite d’Oreste fut dictée par Apollon ; il se fit passer pour un étranger venu annoncer sa propre mort et, après avoir tué sa mère, il alla à Delphes chercher asile contre les Furies. Toujours inspiré par Apollon, il se rendit à Athènes et plaida sa cause devant l’Aréopage. Les avis étant également partagés, Athéna fit pencher la balance en sa faveur en votant pour l’acquittement ; et l’on apaisa les Furies en les adorant désormais sous le nom d’Euménides.
D’après Euripide, dans Iphigénie en Tauride, certaines des Furies n’étant pas encore apaisées, Oreste reçut l’ordre d’Apollon d’aller en Tauride chercher la statue d’Athéna et de la rapporter à Athènes. Il partit en compagnie de Pylade, son ami intime, mais, à peine arrivés en Tauride, tous deux furent arrêtés, car c’était la coutume chez les habitants de cette région de sacrifier tous les étrangers à la déesse. Or, la prêtresse chargée du sacrifice était sa soeur Iphigénie ; ils se reconnurent, et tous trois s’enfuirent en emportant la statue. Oreste succéda à son père et annexa Argos et Lacédémone à son royaume.
Il épousa Hermione, fille d’Hélène et de Ménélas, et mourut d’une morsure de serpent
Une famille maudite :
Les Labdacides
"Les Labdacides symbolisent une humanité prisonnière de ses fautes originelles, où chaque tentative d'échapper au destin ne fait que renforcer la malédiction."
Pierre Vidal-Naquet, dans "Mythe et tragédie en Grèce ancienne"
Les Labdacides - une histoire de vache
C’est une histoire d’amour et de jalousie qui est à l’origine de la "saga" familiale : l’amour de Zeus pour la belle Io, prêtresse de la déesse Héra à Argos, et la jalousie de cette même Héra, furieuse (comme d’habitude) des infidélités de son mari Zeus. Pour soustraire Io à la colère de son épouse acariâtre, Zeus la transforme en génisse d’une fabuleuse blancheur et jure à Héra qu’il n’éprouve rien pour elle. La déesse exige alors que l’animal lui soit consacré et elle confie sa garde à Argos, le bouvier aux cent yeux. Mais Zeus charge Hermès de la débarrasser d’Argos. Cependant, Héra a la vengeance tenace : elle envoie un taon tourmenter Io, qui s’élance aussitôt dans une course folle le long du golfe qui depuis porte son nom (Ionien), traverse le détroit entre les continents européen et asiatique (qui en gardera le nom de Bosphore, le "passage du bovidé") et se met à errer en Asie. Arrivée en Égypte, elle met au monde l’enfant qu’elle a conçu de Zeus : Épaphos.
Cadmos et les dents du dragon
Le petit-fils d’Épaphos, Agénor, est roi de Phénicie. Zeus tombe amoureux de sa fille Europe et il prend la forme d’un taureau pour l’enlever tandis qu’elle joue sur le rivage de Tyr. Il l’emporte alors jusqu’en Crète où elle mettra au monde Rhadamanthe et Minos, le futur grand roi de l’île. Cependant, Agénor envoie son fils Cadmos à la recherche de sa sœur.
L’oracle de Delphes, que Cadmos a consulté, lui a conseillé de suivre une génisse errante jusqu’à ce qu’elle s’étende pour se reposer : en cet endroit même, Cadmos doit fonder une ville. C’est ainsi qu’il crée Thèbes et que la région prend le nom de Béotie (littéralement, le "pays de la génisse").
Mais un terrible dragon garde la seule source des environs : Cadmos le tue et plante ses dents dans le sol sur l’ordre de la déesse Athéna. Surgissent alors des hommes tout armés qui s’entretuent ; seuls cinq d’entre eux échappent au massacre et deviennent les compagnons de Cadmos. Ce sont les ancêtres des grandes famille de Thèbes, que l’on appelle les Spartoi, c’est-à-dire "les Semés" en grec ancien. Cadmos épouse Harmonie, fille d’Arès et d’Aphrodite, le dieu de la guerre. Ils auront un fils et quatre filles.
La vengeance de Dionysos
Sémélé, l’une des filles du roi Cadmos et d’Harmonie, est aimée de Zeus ; or l’imprudente princesse, inspirée par un conseil d’Héra (toujours dangereusement jalouse), demande à son amant de lui apparaître dans toute sa majesté.
Zeus se manifeste donc dans tout l’éclat de sa foudre et Sémélé meurt aussitôt, foudroyée. Cependant Zeus a retiré l’enfant qu’elle attendait pour le plonger dans sa propre cuisse où il finira sa gestation. Le moment venu, naît ainsi Dionysos qui deviendra le dieu du vin, de la fête orgiaque et du théâtre.
Cependant, à Thèbes, son cousin Penthée, fils d’Agavé (sœur de Sémélé), ne veut pas rendre un culte à ce dieu qu’il juge trop perturbateur. Dionysos se venge en l’entraînant sur le mont Cithéron où se déchaînent ses prêtresses, les Bacchantes.
Penthée est alors déchiqueté par les femmes en folie, dont sa propre mère, qui brandit sa tête comme un trophée jusqu’au
moment où elle comprend l’horreur de son acte.
C’est le petit-fils de Cadmos et fils de Polydore, Labdacos, qui donne son nom à la dynastie thébaine. Son fils Laïos est le
père d’Œdipe.
Laios, roi de Thèbes ; Jocaste, reine de Thèbes et Oedipe leur enfant abandonné
Lorsque le roi Laios consulta l’oracle de Delphes, il fut surpris et eut peur : on lui raconta qu’il serait assassiné par son propre fils. Quelque temps après, sa femme Jocaste accoucha d’un petit garçon. Pour éviter l’oracle, Laios lui accrocha les chevilles et l’attacha au mont Cithéron. Mais, des bergers le virent et le récupèrent. Ils l’amenèrent à la cour du roi de Corinthe, Polybos. Le roi et sa femme adoptèrent le petit enfant, mais ne lui dirent pas qu’il était adopté.
Pourtant, lors d’une querelle, quelqu’un insulta Oedipe d’un "enfant trouvé, adopté". Oedipe, douteux, consulta l’oracle de Delphes.
Ce dernier révéla à Oedipe qu’il tuerait son père et marierait sa mère. Suite à ces nouvelles effroyables, Oedipe, pour ne pas ainsi tuer Polybos, ne se dirigea pas vers Corinthe, mais vers Thèbes. Il rencontra le roi Laios à un carrefour; mais, suite à un léger différend, il le tua d’une flèche. Ainsi, sans le savoir, Oedipe venait de réaliser la première partie de la prophétie.
L’énigme du Sphinx
Sur la route de Thèbes, Oedipe rencontra le Sphinx. Ce monstre ailé mi-femme, mi-lion terrorisait les habitants de Thèbes.
Elle dévorait tous ceux qu’elle rencontrait et qui ne savaient pas la réponse à son énigme : "Quel être marche à 4 pieds le matin, à 2 pieds pendant la journée, et à 3 pieds le soir ? Oedipe répondit que c’est l'homme, ce qui était la bonne réponse. Le Sphinx, par frustation, se jeta alors dans un ravin, débarassant la ville de ce monstre. Par reconnaissance pour Oedipe, les habitants de Thèbes lui offrirent le trône et la veuve de Laios, Jocaste. Avec Oedipe épousant sa mère, l’oracle s’était complètement réalisé.
Le pauvre Oedipe !
Après un certain temps, une peste horrible commença à ravager Thèbes.
Lorsqu’on consulta l’oracle de Delphes,on révéla que, pour débarasser la ville de la peste, il faudrait venger le meurtrier de Laios.
Par la suite, Oedipe découvrit que l’homme qu’il avait tué, c’était Laios.
Mais il n’avait pas tout découvert: un messager lui annonçant la mort de Polybos lui révéla qu’il avait été trouvé bébé sur le Mont Cithéron.
En écoutant cela, Jocaste comprit qu’Oedipe était son fils. Elle se suicida. Oedipe,pour ne plus voir le crime qu’il avait commis, se creva les yeux. Il erra jusqu’à Colone, où il mourut.
La tragédie grecque dans la modernité
"Les tragédies grecques, bien qu'ancrées dans leur époque, parlent une langue universelle : celle des conflits humains fondamentaux, qui traversent les siècles et restent d'une brûlante actualité."
Marguerite Yourcenar, Les Yeux ouverts
La tragédie grecque invente non seulement un spectacle et
un type littéraire, mais elle porte en avant un homme tragique : elle invente l’homme déchiré, l’homme s’interrogeant sur ses actes, comprenant après coup qu’il a fait tout autre chose que ce qu’il croyait faire... C’est cela qui continue à résonner en nous. Il y a des moments historiques d’optimisme, comme au début du XXe siècle, où l’homme n’a pas besoin de la tragédie. Mais, depuis, le monde occidental s’est fracassé sur la guerre de 1914, puis sur celle de 39-45, sur le nazisme et les camps. L’Allemagne, un pays cultivé, raffiné, a sombré dans l’impensable. L’ahurissant progrès scientifique et technique qui nous rend "maîtres et possesseurs de la nature", comme le voulait Descartes, nous donne en même temps le sentiment qu’on frôle la catastrophe à tout moment.
Dans ces conditions, les interrogations que la tragédie grecque met en œuvre dans le contexte qui est le sien prennent une
résonance contemporaine formidable. Et les jeunes gens qui vont voir Œdipe roi ou Antigone ne peuvent pas ne pas se
sentir concernés : ils sont eux-mêmes en train de se demander qui ils sont, et quel est le sens de leur existence.
Traduction littérale / traduction actualisante
Quand on veut rendre les tragédies grecques accessibles aujourd’hui, il y a deux façons opposées de les traduire :
-
Traduction littérale
Cette méthode respecte le texte original au maximum. On essaie de rester fidèle aux mots grecs, même si cela peut rendre le texte plus difficile à comprendre ou à jouer. Par exemple, Peter Stein, en 1980, a comparé des dizaines de traductions pour son Orestie afin de coller au plus près au texte d’Eschyle. Antoine Vitez, en 1986, a travaillé à rendre sa traduction d’Électre la plus exacte possible, tout en regrettant parfois de ne pas avoir davantage différencié les dialogues et les chants. D’autres traducteurs, comme Jean et Mayotte Bollack, ont créé des versions précises et puissantes, souvent utilisées par des metteurs en scène comme Ariane Mnouchkine ou Jacques Lassalle. Leur idée : les tragédies étaient des pièces de théâtre dès l’origine, donc une traduction fidèle peut aussi bien fonctionner sur scène. -
Traduction actualisée ou adaptée
Cette méthode modernise le texte pour le rapprocher de notre époque. Parfois, cela consiste à simplifier ou raccourcir des passages jugés trop étrangers à notre monde, comme dans la traduction de Medea par Deborah Warner. Parfois, cela va beaucoup plus loin, comme la version des Perses d’Eschyle mise en scène par Peter Sellars en 1993. Sellars transforme la pièce pour évoquer la guerre du Golfe : les Perses deviennent les Irakiens et les Grecs, les Américains. Il introduit des éléments modernes comme la télévision ou les tanks, tout en mélangeant ces références à l’univers antique. Pour lui, le théâtre doit parler des problèmes actuels, même si cela change beaucoup l’œuvre originale.
Ces deux approches montrent que traduire et mettre en scène les tragédies grecques est un travail complexe, où il faut choisir entre fidélité au passé et adaptation au présent.
Transposer l’espace scénique grec
Dans les mises en scène modernes, il ne s’agit pas de recréer à l’identique les théâtres grecs antiques, mais d’en trouver des équivalents. L’idée principale est d’éviter le théâtre classique « à l’italienne » (avec une scène surélevée et des spectateurs face à elle). Ce type de théâtre crée une coupure entre le public et les acteurs, alors que dans les théâtres grecs, tout était pensé pour rassembler les spectateurs dans un même espace de communauté.
Certaines mises en scène, comme celle de Peter Stein pour l’Orestie (1980), ont cherché à se rapprocher au maximum de cette idée. Stein a utilisé une zone au sol, équivalente à l’orchestra grecque, où le chœur et certains acteurs jouaient. Les personnages entraient parfois par les allées latérales (comme dans le théâtre grec) ou même traversaient le public, réduisant la distance entre spectateurs et comédiens.
L'Orestie - Les Euménides
De Eschyle dans la version élaborée par Peter Stein - Mise en scène : Jean-Pierre Vincent
D’autres metteurs en scène ont trouvé des solutions originales. Par exemple :
- Jean-Pierre Vincent, pour Œdipe tyran et Œdipe à Colone (1989), a placé les spectateurs de chaque côté de l’aire de jeu (bi-frontal). Ils pouvaient se voir les uns les autres et réfléchir à leur rôle de spectateurs. La lumière restait allumée, rappelant le plein jour des spectacles antiques.
- Pour Hécube (1988), Bernard Sobel a conçu une scène carrée, entourée de gradins symétriques. Le chœur se plaçait en face des spectateurs, comme un miroir, et les impliquait dans le débat qui avait lieu sur scène.
- Jacques Nichet, pour Alceste (1993), a construit une petite maison de bois transportable, où tout le monde partageait un même espace. Avec seulement 200 places, cela créait une ambiance intime, proche des veillées d’autrefois ou des récits des troubadours.
Transposer le choeur grec
Depuis plusieurs décennies, en France, le chœur grec traditionnel, tel qu'il était conçu dans l'Antiquité (nombreux, chantant à l'unisson, avec une chorégraphie stylisée), n'est plus représenté dans les mises en scène. Cependant, il n'est jamais complètement supprimé. Les metteurs en scène cherchent à transposer le chœur de manière cohérente avec leur vision artistique, souvent en réduisant le nombre de participants ou en remplaçant les chants par de la parole.
Par exemple, Jacques Lassalle dans Médée utilise une seule actrice pour représenter le chœur, soulignant la solitude du personnage. Dans Alceste, le chœur interprète des chants en grec ancien sur des polyphonies corses. Stéphane Braunschweig, dans Prométhée enchaîné, confie le rôle du chœur à une violoncelliste. Guillaume Delaveau, dans Iphigénie chez les Taures, sépare le chœur dans un espace poétique, accompagné d'un piano.
Éloigner ou rapprocher
Même si un texte traduit de façon très fidèle ou avec un style ancien, comme la version d’Ajax par Leconte de Lisle, peut sembler éloigné de notre époque, cela n’empêche pas une mise en scène moderne. Par exemple, Stéphane Braunschweig a utilisé cette traduction en 1991, mais il y a intégré des éléments actuels comme des costumes modernes, des micros ou encore des vidéos.
Dans de nombreuses mises en scène récentes, passé et présent se mélangent. On trouve des éléments traditionnels comme des masques ou des chants, et d’autres très contemporains. Ce mélange ne vise pas seulement à montrer que ces œuvres sont « éternelles ». Non pas pour célébrer la valeur éternelle de ces œuvres, mais, à l'instar des poètes athéniens qui conjuguaient dans leurs tragédies le temps du mythe et celui de la cité du Ve siècle, pour tenir en éveil le jugement du public et lui rappeler que son plaisir de spectateur doit aller de pair avec son rôle de citoyen.
Ajouter un commentaire
Commentaires