Sophocle
(496-406 av. J.-C.)
"Sophocle a fait un pas en avant par rapport à Eschyle, en introduisant un troisième acteur et en rendant l'action plus complexe, tout en donnant à ses personnages une plus grande dimension humaine."
Aristote, dans "La Poétique"
Sophocle - le poète intemporel
Plus jeune qu’Eschyle, dont l’oeuvre garde une majesté un peu archaïque, mais plus âgé qu’Euripide, qui tente déjà des innovations parfois à la limite du tragique, Sophocle représente, au Ve siècle avant J.-C., l’équilibre et comme la perfection du genre tragique. Par là, il continue toujours à rayonner, d’un éclat pur et comme intemporel. Ses tragédies, qui mettent en cause le sort même de l’homme, sont, de toutes, les plus aisément accessibles à travers les siècles. Et il a lui-même tout fait pour que cette valeur universelle s’inscrive dans son oeuvre de la façon la plus éclatante.
Contexte historique
La vie de Sophocle coïncide avec le déploiement de la grandeur d’Athènes. Il est né à Colone, juste avant les guerres médiques, et conduisit, dit-on, le choeur des jeunes garçons qui célébra la victoire d’Athènes. Il connut l’empire athénien et la démocratie de Périclès, avec qui il fut lié. Lui-même, dans cette cité à son apogée, eut toujours une vie heureuse. Il eut beaucoup d’amis, dont Hérodote. Il joua un rôle public. Enfin, il fut, jusqu’au moment où il mourut à Athènes, âgé de quatre-vingt-dix ans, un auteur aimé et souvent couronné.
"Sophocle a su montrer, dans ses tragédies, non seulement le héros face à son destin, mais aussi la grandeur et la dignité de l'homme dans la souffrance."
Aristote, dans "La Poétique"
Le théâtre de Sophocle
Sophocle puise son inspiration dans l'épanouissement intellectuel de l'Athènes de Périclès. Contrairement à Eschyle, imprégné de pensée religieuse, Sophocle évolue dans un climat marqué par la confiance en l'homme, côtoyant des figures comme Thucydide et Socrate. Ce contexte explique le paradoxe de son œuvre : une vision tragique du destin humain alliée à une exaltation de sa grandeur.
Sur les 123 tragédies attribuées à Sophocle, sept nous sont parvenues. Une seule, Les Trachiniennes, conserve une nomination traditionnelle liée au chœur ; les autres portent les noms de héros ou héroïnes (Ajax, Antigone, Œdipe roi, Électre, Philoctète, Œdipe à Colone). Ces pièces mettent en lumière des figures humaines marquées par des destins exceptionnels, incarnant la profondeur de la condition humaine.
Chez Sophocle, ses héros, nobles et courageux, semblent toujours frappés par un destin injuste qu'ils ne méritent pas. Dans le théâtre d'Eschyle, les malheurs représentaient la justice des dieux, où chaque faute entraînait une punition logique, souvent sur plusieurs générations. Chez Sophocle, même si l'idée de faute existe en arrière-plan, elle ne suffit jamais à expliquer l'ampleur des tragédies qui s'abattent sur ses personnages.
Oedipe-Roi
"Œdipe, ce noble héros, doit tomber pour que la sagesse dionysiaque triomphe, montrant que, malgré toute la force et la grandeur de l'esprit humain, il est toujours soumis aux puissances sombres du destin."
Friedrich Nietzsche , "La Naissance de la tragédie"
Sophocle, contemporain de l’historien Thucydide, avait une vision qui dépassait le particulier pour atteindre l’universel. Il disait lui-même que son personnage Œdipe est un exemple de cette perspective.
Ses tragédies intègrent des dialogues profonds, entrecoupés par les chants du chœur. Ces chants, empreints d’une beauté et d’une harmonie uniques, ne se contentent pas de commenter l’action, mais explorent les grands thèmes humains. Par exemple, dans Œdipe à Colone, un chant évoque la vieillesse. D’autres célèbrent la fragilité de l’homme ou ses étonnantes capacités. Ces moments lyriques créent une distance qui invite à réfléchir sur des questions universelles, donnant au théâtre de Sophocle une portée intemporelle. C’est ce souci de l’universel, et l’équilibre parfait de ses pièces, qui font de son œuvre un modèle du classicisme.
Contrairement à Eschyle, dont les intrigues étaient simples et statiques, Sophocle maîtrise des progressions complexes et des retournements inattendus. Dans Œdipe Roi, l’enquête pour découvrir l’auteur d’un crime passé conduit le héros à une vérité terrifiante : il est lui-même coupable. Cette construction dramatique, comparable à un roman policier moderne, maintient un suspense haletant.
Mais ce n’est pas une force malveillante qui condamne Œdipe : c’est un destin supérieur, au-delà du jugement humain, contre lequel il est impossible de lutter. Pourtant, les héros de Sophocle ne se résignent pas.
Même brisés, ils demeurent dignes. Ajax, qui se suicide, et Œdipe, qui se crève les yeux, conservent leur grandeur. Héraclès, dévoré par la souffrance, et Philoctète, criant de douleur, restent des figures héroïques.
Leur résistance face au destin inspire une profonde confiance en l’homme. Cette combinaison de grandeur et de misère est au cœur du tragique chez Sophocle.
Antigone
"Antigone est la plus sublime des figures tragiques, car elle incarne le conflit entre deux devoirs également sacrés : la loi de la cité et la loi de la famille."
Antigone, fille d’Œdipe et de Jocaste, est le symbole de la tragédie. Son nom, qui signifie "née pour aller à l’encontre" en grec, illustre son destin marqué par le malheur et la rébellion. Elle est condamnée à une mort cruelle, sans époux ni enfants, après une vie de souffrance et d’errance.
Elle accompagne son père aveugle et exilé, Œdipe, jusqu’à sa mort à Colone. De retour à Thèbes, elle doit affronter un drame familial : ses deux frères, Étéocle et Polynice, meurent en se combattant durant la guerre des Sept Chefs. Créon, roi de Thèbes, décide d’honorer Étéocle par des funérailles mais interdit d’enterrer Polynice, le considérant comme un traître. Antigone refuse cet ordre, poussée par son devoir familial et sa foi en des lois supérieures aux lois humaines.
Son acte de désobéissance est au cœur de la tragédie Antigone de Sophocle. Pour avoir voulu enterrer son frère, Antigone est condamnée par Créon à être enfermée vivante dans un tombeau. Elle exprime alors son désespoir d’être rejetée à la fois par les vivants et par les morts :
"Privée des larmes des miens,
Je descends dans ce tombeau
Rejetée par les vivants et les morts,
Ni vraiment en vie, ni tout à fait morte."
Depuis des siècles, cette tragédie a été analysée sous de nombreux angles. Selon le philosophe Hegel, elle incarne un conflit entre deux principes légitimes : Antigone représente les lois divines, le devoir familial et l’amour, tandis que Créon incarne l’autorité de l’État, la morale politique et la rigidité du pouvoir. Cependant, d'autres lectures, comme celle de Karl Reinhardt, estiment que la pièce ne met pas en scène un simple conflit entre deux normes. Elle raconte plutôt la chute de deux figures humaines, chacune enfermée dans sa propre logique, et condamnées par leur excès.
Antigone, loin de se limiter à défendre les lois divines, agit au nom de lois encore plus anciennes, mystérieuses et universelles. Elle défie même les dieux dans sa quête de justice, devenant une figure tragique complexe, à la fois humaine et sacrée, en lutte contre un destin inévitable.
Il est l'auteur de nombreuses tragédies qui ont marqué l'histoire du théâtre, dont plusieurs sont encore largement étudiées et jouées aujourd'hui. Voici une sélection de ses œuvres majeures :
-
Œdipe roi (429 av. J.-C.)
L'une de ses pièces les plus célèbres, qui raconte l'histoire d'Œdipe, roi de Thèbes, qui, sans le savoir, tue son père et épouse sa mère, accomplissant ainsi la prophétie qui le condamnait. -
Antigone (441 av. J.-C.)
Cette pièce raconte le dilemme moral de la jeune Antigone, qui défie l'ordre du roi Créon en enterrant son frère Polynice, malgré l'interdiction royale. La pièce explore des thèmes de loyauté familiale, de justice et d'autorité. -
Électre (413 av. J.-C.)
Cette tragédie se concentre sur Électre, fille d'Agamemnon, qui cherche à venger la mort de son père en tuant sa mère Clytemnestre, en complicité avec son frère Oreste. -
Ajax (441 av. J.-C.)
Cette pièce raconte l’histoire d’Ajax, un héros grec de la guerre de Troie, qui, dans un accès de folie, tue ses compagnons croyant avoir massacré les ennemis. Après avoir retrouvé sa raison, il se donne la mort, se sentant déshonoré. -
Les Trachiniennes (c. 430 av. J.-C.)
Cette œuvre met en scène la souffrance de Déjanire, l'épouse d'Héraclès, qui, par inadvertance, provoque la mort de son mari en lui offrant une tunique empoisonnée. -
Philoctète (409 av. J.-C.)
Cette tragédie raconte l'histoire de Philoctète, un héros de la guerre de Troie, qui, blessé et abandonné sur une île déserte, est rappelé par les Grecs pour jouer un rôle crucial dans la prise de Troie. -
La Colonie (c. 408 av. J.-C.)
Bien que moins célèbre que ses autres œuvres, cette pièce explore les thèmes de l'exil et de la rédemption, avec des personnages confrontés à des dilemmes éthiques.
Ajouter un commentaire
Commentaires