Jacques Copeau
(1879-1949)
Jacques Copeau n’a pas simplement réformé le théâtre, il l’a sauvé ! À une époque où la scène s’embourbait dans un académisme bourgeois ou dans des effets techniques vides de sens, il a brandi un étendard : retourner aux sources !
Regardez derrière vous ! La tragédie grecque, la commedia dell’arte, le théâtre élisabéthain… Voilà les fondations sur lesquelles le théâtre s’est construit. Des formes pures, directes, où l’acteur et la parole sont souverains. Copeau veut retrouver cette noblesse. Il veut un théâtre où le texte et le corps vibrent ensemble, sans se perdre dans des artifices inutiles.
Alors, il épure ! Plus de décors pompeux, plus de gesticulations gratuites, plus de faux-semblants ! Il recrée un théâtre vivant, organique, essentiel. En cela, il se rapproche de Craig et d’Appia, qui rêvaient aussi d’un art total, mais il refuse les excès des metteurs en scène techniciens comme Meyerhold ou Reinhardt, qui asservissent l’acteur à la machine scénique.
Et quelle influence ! Pendant quarante ans, son héritage domine la mise en scène française. Barrault, Vilar, et tant d’autres marcheront dans ses pas. Ce n’est que dans les années 1950, avec l’arrivée de Brecht et de son théâtre épique, que cet héritage sera contesté.

Le promoteur du tréteau nu
En 1913, Jacques Copeau dresse un étendard : celui du "tréteau nu" ! Plus de décors envahissants, plus d’artifices, plus de poudre aux yeux ! Il faut revenir à l’essentiel. Car que voyait-il autour de lui ? Un théâtre corrompu, égaré… Un naturalisme sans souffle, un symbolisme exsangue, un boulevard mercantile. Le théâtre, ce lieu de la parole vive et du corps habité, était menacé de décrépitude !
Alors, Copeau s’élève. Il réforme, il tranche, il purifie. Il veut un théâtre épuré, où chaque geste, chaque mot, chaque silence pèse d’un poids d’or. Un théâtre de rigueur et d’exigence. Et pour cela, il impose des règles : contraindre pour libérer, restreindre pour sublimer. Il sait que le théâtre est un art du peu, mais du peu qui dit tout.
Et ce combat, il le mène sur trois fronts :
🔹 Le poète dramatique, qu’il voit comme un maître d’œuvre total, un créateur absolu.
🔹 L’acteur, qu’il forme avec patience, exigeant de lui qu’il soit d’abord un corps, une voix, une présence vraie.
🔹 La mise en scène, qu’il dépouille, qu’il recentre, pour qu’elle serve enfin le jeu et non l’illusion.
Jacques Copeau n’a pas seulement fait du théâtre : il l’a rêvé, il l’a vécu, il l’a offert. Il a transmis son feu sacré à des générations d’acteurs et de metteurs en scène. Son tréteau nu n’était pas un dénuement, c’était une puissance. Et cette puissance est entre vos mains !
Alors, mes amis, montez sur scène, débarrassez-vous du superflu et jouez avec vérité ! Copeau nous a montré la voie : celle du théâtre vivant, celle du théâtre libre !
Réconcilier théâtre et littérature
Le théâtre n’est pas qu’un spectacle, c’est une parole qui vit, une pensée qui brûle ! Mais voilà que depuis trop longtemps, la littérature et le théâtre se sont éloignés l’un de l’autre. Les poètes fuient la scène, les dramaturges s’égarent dans l’artifice, et le public oublie la grandeur du verbe !
Jacques Copeau, lui, ne l’accepte pas ! Il veut réconcilier ces deux forces jumelles : la scène et la poésie, le corps et le texte, le souffle et la pensée. Il refuse que la littérature se contente d’être lue dans le silence d’un salon ou murmurée comme une prière. Le théâtre est un acte, une incarnation, une communion !
Mais attention ! Lorsqu’il parle du poète dramatique, Copeau ne pense pas seulement à un écrivain cloîtré avec son encre et son papier. Il rêve d’un créateur total, d’un maître du plateau, d’un visionnaire qui porte à lui seul l’âme du théâtre ! Un poète qui ne se contente pas d’écrire, mais qui dirige, qui façonne le jeu, qui donne un souffle aux mots. Il rejoint en cela Craig et Brecht, ces autres penseurs du théâtre vivant.
Cependant, Copeau sait que ce combat est une contradiction en soi. Comment créer un théâtre exigeant tout en cherchant à toucher le plus grand nombre ? D’un côté, il s’entoure des esprits brillants de la N.R.F., de Gide, de Claudel, de Martin du Gard. De l’autre, il veut refaire un public, reconstruire un lien entre l’art et le peuple. Tension insoluble ? Non ! Défi magnifique !
Car ce que nous apprend Copeau, c’est que le théâtre doit toujours viser haut ! Il ne s’agit pas de céder à la facilité, ni de mépriser le spectateur. Il faut lui donner la grandeur, le texte puissant, la beauté des mots mis en chair !
La formation de l'acteur
Le théâtre n’est pas qu’une scène, un texte ou un décor. Il est avant tout un corps en mouvement, une voix qui résonne, un être qui vibre ! Et qui donc porte cette flamme, sinon l’acteur lui-même ?
Jacques Copeau l’a bien compris. Il n’a pas cherché un auteur, il a cherché des comédiens. Car avant de bâtir de grandes œuvres, il faut des interprètes capables de les porter. Il faut former des acteurs qui ne soient ni des pantins soumis aux metteurs en scène, ni des exécutants vidés de sens. Il faut des comédiens complets, maîtres de leur art !
Et pour cela, il impose une discipline, un entraînement, une exigence ! Il veut restaurer l’esprit de troupe, la noblesse du métier, la rigueur du jeu. Un comédien ne doit pas seulement savoir réciter un texte, il doit connaître son corps, affûter sa voix, aiguiser son esprit.
Copeau ne travaille pas seul. Il prend chez Stanislavski la quête de vérité, chez Craig l’idéal du comédien-créateur, chez Appia la fusion du corps et de l’espace. Mais il ne leur emprunte pas aveuglément, il synthétise, il transforme. Et surtout, il respecte la liberté du comédien ! Car l’acteur, mes amis, est à la fois l’outil et l’œuvre, la matière et l’artiste.
Mais ne vous y trompez pas : être acteur, c’est un combat ! La société, l’histoire, les préjugés ont souvent méprisé ce métier. Copeau, lui, a voulu redonner au comédien sa dignité. Il a voulu faire progresser tout le théâtre – l’écriture, la mise en scène, l’interprétation – sur un seul et même front.
L'école de l'improvisation
Deux écoles ont marqué le théâtre du XXe siècle en France : celle du Vieux-Colombier de Jacques Copeau et l’École Internationale de Théâtre de Jacques Lecoq. Deux écoles, mais une même intuition fondamentale : l’acteur ne pense pas avec sa tête, il pense avec son corps !
Loin de l’introspection et de l’analyse psychologique, leur pédagogie part d’un postulat révolutionnaire : le monde se perçoit et se restitue par le corps. L’acteur ne plonge pas en lui-même pour interpréter un rôle, il se laisse traverser par les dynamiques du vivant. Il ne se raconte pas, il joue.
Copeau, cet éveilleur de théâtre, a cherché la source même du jeu. Où l’a-t-il trouvée ? Chez l’enfant. Car l’enfant joue librement, sans artifice, sans intellectualiser. Il est totalement aku* – engagé, plongé dans son jeu, habité par son personnage. Pour Copeau, le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté.
Alors, il débarrasse le théâtre de ses faussetés. Finis les artifices, les tics, les tricheries de l’acteur mondain ! Il veut du vrai, du brut, du spontané. Il observe les jeux d’enfants, il les guide, mais ne les contraint pas. L’acteur doit retrouver cette liberté, ce vertige, cette intensité.
Et pour cela, il faut le vide. Un plateau nu. Un esprit disponible. Un masque qui efface l’ego. Car le masque, chez Copeau, n’est pas qu’un outil technique, il est un instrument sacré. Il est là pour abolir l’individu et faire surgir l’essence du jeu.
Copeau l’a compris : il y a deux écoles du théâtre.
🔹 L’école de l’interprétation, qui part du texte et en extrait le sens.
🔹 L’école de l’improvisation, qui plonge l’acteur dans l’instant et l’oblige à puiser en lui des ressources inattendues.
Copeau choisit l’improvisation. Il choisit le mouvement, le rythme, la précision. Il se nourrit du cirque, des Fratellini, des clowns. Il observe leur art du corps, leur écoute mutuelle, leur réinvention perpétuelle. Et il comprend : c’est en travaillant ensemble, en vivant le jeu comme un langage partagé, que naît la magie du théâtre.
« Aku », c’est-à-dire engagé entièrement dans le jeu. Voici ce que Copeau écrit dans son Journal à propos du jeu de ses propres enfants : « Depuis assez longtemps j’entendais les enfants dans leurs jeux se servir de ce terme : aku (prononcez acou). “Être aku”, “tu n’es pas aku”. J’ai l’explication. Aku est l’abréviation du mot danois akurat qui veut dire : tout à fait, complètement. Être aku, dans le jeu, c’est se confondre tout à fait avec le personnage, la chose, l’événement qu’on veut représenter, c’est faire corps avec son jeu, le prendre pour la réalité, en éprouver les sentiments, en mimer les gestes avec continuité sans permettre aux autres, aux parents, ni à soi- -même, la notion d’une feinte provisoire. »- Jacques Copeau
Pour un théâtre pur, sans artifices
Il s’élevait contre les machines, les décors envahissants, les effets de lumière qui volent la vedette aux acteurs. Il voulait un théâtre où l’acteur et le texte sont rois, où le jeu naît d’un espace nu, d’un tréteau pur, sans fioritures. Pas de "trucs", pas d’illusions inutiles ! Ce que nous cherchons, c’est la vérité du théâtre, sa force brute, sa simplicité essentielle.
Il était un visionnaire, un bâtisseur d’acteurs. Il rejetait le cabotinage et la facilité, exigeait du comédien une formation profonde, organique. Il rappelait au metteur en scène qu’il est serviteur du texte avant tout, un créateur, oui, mais au service du poète ! Et au spectateur, il enseignait le respect de cet art exigeant, lui demandant d’ouvrir son cœur et son esprit à l’essence même du jeu théâtral.
Jacques Copeau, la conscience du théâtre nouveau !
De 1913 à 1924, il fit du Vieux-Colombier un sanctuaire du théâtre vivant, où les comédiens apprenaient leur art dans la rigueur et la vérité. La Grande Guerre interrompit son élan, mais ne brisa pas son rêve. Au contraire, elle affina sa vision, et ceux qui l’avaient suivi – Louis Jouvet, Charles Dullin – purent s’en inspirer sans jamais renier ses idéaux. Plus tard, Barrault et Vilar prolongèrent son souffle, chacun à sa manière, mais toujours dans cette quête de sincérité et de dépouillement.
Son influence ne s’est pas arrêtée aux murs du Vieux-Colombier ! De la Bourgogne à l’étranger, en France et au-delà, ses disciples – les Copiaux, la Compagnie des Quinze, les Comédiens Routiers – ont porté sa flamme. À travers eux, à travers Dasté, Barsacq et Jacquemont, son théâtre a continué à interroger le monde, à lui offrir une voie exigeante et nécessaire.


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