Antoine Vitez
Antoine Vitez : L’Autodidacte qui Réinventa le Théâtre
Antoine Vitez, c’est un peu comme un funambule du théâtre : il avance sur un fil entre rigueur absolue et liberté totale. Né en 1930 dans une famille typiquement IIIe République (mère institutrice, père photographe et anarchiste sur les bords), il ne passe pas par la case université mais se nourrit d’une culture insatiable. Autodidacte, il apprend le russe (histoire de traduire Maïakovski et Boulgakov en toute décontraction) et travaille même comme secrétaire d’Aragon, ce qui en impose déjà pas mal.
Côté théâtre, il se forme auprès de Tania Balachova et se révèle rapidement un pédagogue hors pair. À partir de 1968, au Conservatoire national, il bouscule les traditions avec une méthode qui mélange exercices, variations et surtout une redécouverte passionnée de l’alexandrin, qu’il veut aussi musical que rigoureux. Chez lui, on ne "joue" pas Molière, on sculpte le texte, on danse avec la langue.

Son ambition ? Faire de la salle de classe un tremplin direct vers la scène professionnelle. Pas de répétitions éternelles à huis clos : ses élèves doivent plonger dans le grand bain sans filet. Une école du défi où la formation devient spectacle et où, pour paraphraser Vitez lui-même, le théâtre est un art à la fois « élitaire pour tous » et un terrain d’expérimentation permanent. Bref, un maître qui, au lieu d’imposer des règles, donnait envie de les réinventer.
Antoine Vitez : Le Metteur en Scène qui Faisait Classe
Vitez, c’est un peu le prof qui préfère les élèves turbulents aux premiers de la classe. Plutôt que de distribuer les rôles aux stars du moment, il mise sur la jeunesse, l’inconnu, la fraîcheur. Une carrière ? Il ne la reçoit pas en héritage, il la déclenche. L’important, c’est l’énergie, la liberté du corps et de l’esprit, et tant pis si la justesse vacille parfois.
Son aventure de metteur en scène commence en 1966 avec Électre de Sophocle, mais c’est Les Bains de Maïakovski l’année suivante qui annonce sa marque de fabrique : un théâtre où l’ancien et le moderne s’entrechoquent avec fracas. Vitez ne fait pas dans la demi-mesure, il joue des contrastes, des extrêmes, et c’est cette audace qui fait école.

Antoine Vitez, metteur en scène et directeur du Théâtre des quartiers d'Ivry, avec ses comédiens, en 1980.
Et justement, des écoles, il en ouvre ! Après le Conservatoire, il fonde un laboratoire d’acteurs au Théâtre des Quartiers d’Ivry, puis en fait de même au Théâtre national de Chaillot. Chez lui, enseigner, ce n’est pas formater, c’est initier au goût de l’inutile et de l’imprévisible. On y expérimente, on y tente, on y échoue parfois, mais toujours avec panache. Son théâtre est un espace de liberté où les idées fusent sans que le couperet du jugement vienne tout figer.
Fidèle en amitié, Vitez fonctionne comme un patriarche bienveillant. Il rassemble autour de lui une famille d’acteurs, mélange d’anciens compagnons et de nouvelles recrues. Pas une troupe au sens rigide du terme, mais une bande soudée, unie par la passion plus que par les contrats.
Puis vient 1988 et la Comédie-Française, où il doit troquer son goût du chaos créatif contre une logique plus politique. Il monte Le Mariage de Figaro et La Vie de Galilée, mais le destin, sans doute jaloux de tant d’intelligence, l’arrête brutalement cette même année.
Vitez disparaît, mais son héritage perdure : un théâtre qui respire, qui bouscule, qui cherche. Un théâtre où l’élève devient acteur, et l’acteur, éternel apprenti.
Antoine Vitez : L’Insoumis de l’Écrit
Vitez, c’est le metteur en scène qui avait toujours un stylo à la main. Il appartient à cette lignée rare où penser le théâtre va de pair avec l’écrire. Comme Jacques Copeau avant lui, il ne se contente pas de monter des pièces : il les interroge, les éclaire, les bouscule à coups de mots. Loin des grandes théories figées, il préfère le fragment, la fulgurance, la pensée en mouvement.
Poète, traducteur, amoureux des textes, il ressuscite un art presque oublié : la déclamation. Mais attention, pas le truc poussiéreux des récitations scolaires. Non, chez lui, l’alexandrin redevient une bête sauvage qu’on apprend à dompter sans jamais l’édulcorer. Avec Phèdre en 1975, il fait redécouvrir au théâtre français la beauté brute du vers classique. Ce n’est pas du « parlé naturel », c’est un choc, un combat entre la rigueur de la forme et la fureur des émotions. Racine, Hugo, Claudel : Vitez s’enferme volontairement dans ces « prisons » de mots, mais en prisonnier ravi, heureux d’explorer chaque recoin de la langue.
Et comme il déteste voir un spectacle disparaître trop vite, il trouve des astuces pour prolonger l’instant. Réutiliser un décor d’une pièce à l’autre ? Une hérésie pour certains, un coup de génie pour lui. À Chaillot, une même forêt sert à Faust, Britannicus et Tombeau pour 500 000 soldats en 1981. Plus tard, le même décor mental accueille Hamlet et Le Prince travesti. Pourquoi changer quand tout dialogue entre passé et présent ?
Vitez, c’était un paradoxe vivant : à la fois iconoclaste et défenseur des traditions, improvisateur et architecte de la durée. Il pensait que chaque mise en scène n’était qu’une « variation » sur un texte qui lui, résiste au temps. Et c’est peut-être pour ça qu’il nous fascine encore : parce qu’au fond, il n’a jamais cessé d’écrire, même avec des silences et des ombres sur scène.
Antoine Vitez : Metteur en Scène ou Grand Architecte du Théâtre ?
Vitez, c’est un peu l’ingénieur du théâtre, le type qui regarde toujours plus haut, plus grand, avec l’idée que tout, même la farce la plus grotesque, raconte quelque chose de fondamental sur le pouvoir et le monde. Il peut mettre en scène une tragédie grecque ou un spectacle de marionnettes (La Ballade de Mister Punch, 1979), et dans les deux cas, il traque les mêmes mécanismes de domination et de chaos. Un roi et un patron de bistrot ? Même combat. Une guerre antique et une dispute dans une cour d’école ? Même dynamique. Son théâtre est une loupe qui révèle que tout est connecté, que le passé éclaire le présent.
D’ailleurs, il le prouve en montant trois fois Électre de Sophocle (1966, 1971, 1986), où il fait dialoguer l’antique et l’actuel. Dans sa vision, le théâtre n’est jamais une reconstitution figée, mais une force vivante qui capte les tensions du moment. C’est pour ça qu’il adore Le Soulier de satin (1987) : un délire lyrique où il joue avec les échelles et les styles, convoquant à la fois la philosophie et la fresque historique.
Chez Vitez, la scène est un champ de bataille intellectuel. Avec La Célestine (1989), il pousse le théâtre vers une confrontation métaphysique : paradis ou enfer, désir ou damnation ? Il applique la même logique à La Vie de Galilée(1990), où le scientifique brechtien devient un miroir de l’artiste face au pouvoir.
Son obsession, au fond, c’est cette fameuse "instance supérieure" : quelque chose de plus grand que le simple spectacle. Théâtre et politique, scène et société, drame et idéologie… Tout est en dialogue. Il jongle entre l’artiste solitaire et l’artiste d’État, toujours en quête du sens ultime. Ce n’est pas un hasard s’il est hanté par Faust. Car, comme le savant de Goethe, Vitez a passé sa vie à chercher, expérimenter, déconstruire… en espérant qu’au bout, le théâtre pourrait toucher quelque chose d’infini.

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