L'acteur brechtien
"L’acteur brechtien ne cherche pas à se fondre dans son personnage, il doit constamment garder une distance critique, afin que le spectateur puisse observer et réfléchir, plutôt que de se perdre dans l’illusion théâtrale."
L'acteur distancié
Pour induire l’« effet de distanciation », tous les participants à une production doivent comprendre la vision de l’auteur sur les événements présentés et laisser cette compréhension influencer chaque aspect de leur travail. Cela exige un engagement intellectuel, moral et politique souvent négligé dans les approches modernes du théâtre. Brecht comprenait que l’« effet de distanciation » n’a de valeur que si l’analyse est sophistiquée.
Ainsi, en mettant en scène La Peur et la Misère, cycle de pièces en un acte sur la vie sous le Troisième Reich, Brecht ne demandait pas simplement aux acteurs de rappeler que le fascisme est mauvais. Il attendait d’eux qu’ils montrent, avec une précision quasi scientifique, ce qui rend le fascisme attrayant dans des circonstances particulières. Contrairement à l’accent moderne, souvent sentimental, mis sur les « modèles positifs » ou sur les récits du point de vue des victimes, Brecht cherchait à provoquer chez son public une réflexion sur les raisons pour lesquelles les gens agissent fréquemment contre leurs propres intérêts.
Produire cet effet exige une sorte de double vision de la part de l’acteur, qui doit à la fois incarner son personnage et se souvenir qu’il est en train de le montrer. Selon Brecht, une identification excessive empêche l’acteur de commenter ce qui se passe et limite ainsi l’impact de la performance. Il voulait que l’acteur « abandonne les moyens qu’il a appris pour amener le public à s’identifier aux personnages qu’il joue .
L'importance de la détente et de la simplicité est centrale dans la performance. Même en jouant des rôles passionnés, l’acteur ne doit pas entièrement adopter les émotions du personnage, afin que le public conserve une liberté totale pour interpréter ce qu’il voit.
L’objectif principal de Brecht était que les acteurs racontent l’histoire de leurs personnages avec une objectivité maximale, comme un témoin décrirait un accident de voiture ou un match de football : en attirant l’attention sur les moments décisifs, en invitant à examiner les événements sous différents angles et en aidant à former un jugement critique. Par exemple, un acteur jouant Macbeth ne devrait pas simplement susciter de la sympathie pour la chute du héros, mais montrer les étapes, les meurtres et les victimes qui ont caractérisé sa tyrannie. Une actrice jouant Mère Courage devrait démontrer que la mort de ses enfants résulte directement de ses choix et qu’elle reste avant tout une commerçante essayant de tirer profit de la guerre.
L'acteur doit également maintenir une conscience de l’artificialité de ce qui se passe sur scène, tout en restant détaché. Par exemple, il doit montrer qu’il connaît déjà la fin de l’histoire, même au début de la représentation. Cette approche encourage le public à regarder ce qui est présenté avec scepticisme et un esprit critique accru.
Il est crucial de comprendre que l’« effet de distanciation » ne nécessite pas un style de jeu étrange ou artificiel. Brecht lui-même notait que ses acteurs jouaient avec une grande fluidité émotionnelle. L’objectif n’est pas de submerger le public par une empathie excessive, mais de présenter l’histoire avec passion, clarté et objectivité, tout en refusant d’imposer une seule interprétation.
Brecht souhaitait promouvoir un type de jeu théâtral qui serait constamment mis entre guillemets : « voici ce qui s’est passé », « voici qui a été blessé », « voici qui a gagné la bataille », et ainsi de suite. Il attendait de ses acteurs qu’ils racontent l’histoire de manière à ce que chaque élément puisse être perçu comme temporaire et susceptible de changer — très éloigné d’un théâtre qui offrirait des « vérités éternelles » immuables. L'effet de distanciation a une double fonction : il aide l'acteur à présenter chaque moment avec clarté, et lui permet aussi de montrer son propre point de vue sur ce qui est présenté.
L’acteur, qui se voit lui aussi attribuer un rôle différent, ne doit pas s’identifier à son personnage mais se souvenir sans cesse, pendant la représentation, qu’il raconte des événements passés. Brecht multiplie les conseils à son égard et lui suggère différents moyens pour rester maître de son jeu.
« Le comédien qui renonce à la métamorphose intégrale, écrit-il dans Nouvelle technique d’art dramatique, dispose de trois procédés qui l’aideront à distancier les paroles et les actions du personnage à représenter :
- la transposition à la troisième personne ;
- la transposition au passé ;
- l’énoncé d’indications scéniques et de commentaires.
La transposition à la troisième personne et au passé permet au comédien de se placer à une juste distance de son personnage. Il cherche en outre des indications de mise en scène et il les dit pendant qu’il répète. (…) En introduisant sa réplique par une indication de mise en scène dite à la troisième personne, le comédien provoque le heurt de deux cadences, la deuxième, (celle du texte proprement dit) se trouve dès lors distanciée. »
Ces moyens permettent à l’acteur de prendre le rôle de narrateur par rapport au personnage qu’il incarne. Diderot dans Le Paradoxe sur le comédien, insiste lui aussi sur le fait que l’acteur qui prête son corps au personnage, ne doit éprouver aucune de ses émotions, afin d’analyser la situation de l’extérieur.
Brecht demandait parfois à ses acteurs, lors des répétitions, de jouer à la troisième personne, en commençant chaque réplique par « il dit... elle dit... ». D’autres fois, il leur faisait souligner des moments clés en ajoutant « au lieu de répondre ainsi, il a répondu ainsi ». Il leur demandait également de lire les didascalies à voix haute. Tout au long des répétitions, il discutait constamment, sollicitant les avis de ses assistants, des techniciens de passage, des observateurs et des acteurs eux-mêmes. Son but était que les acteurs accomplissent deux choses simultanément : jouer la scène et susciter une discussion avec le public sur son contenu.
Jouer de manière à produire l’« effet de distanciation » signifie avant tout soumettre tout à la communication de vérités simples et utiles sur le fonctionnement du monde extérieur.
Toutefois, s’il déconseille au comédien de s’identifier à son personnage, c’est pour créer chez le spectateur l’illusion de réalité la plus parfaite qui soit, en lui faisant croire à l’existence du personnage qu’il incarne. Brecht, en revanche, interdit toute identification aux acteurs afin de détruire l’illusion chez le spectateur. Il sait que la salle et la scène échangent des relations comparables à celles de vases communicants et que si les comédiens sont émus, leur émotion gagnera aussitôt le public. Seul l’acteur en effet peut assurer la réussite de la distanciation, comme le montre Giorgio Strehler (1921-1998) dans Un Théâtre pour la vie (1980).
« Mais qu’est-ce que finalement la « distanciation », sinon une opération de « poésie » ? Et même, l’opération fondamentale de la « poésie » ? L’acteur, par une certaine intonation, un certain geste, des intonations et des gestes à la fois — il a à sa disposition d’infinis modes et possibilités — « souligne » en se détachant, c’est-à-dire en se plaçant « à l’extérieur » de ce qui représente quelque chose à ce moment-là. À cet instant même, il suspend le temps ou bien il l’accélère, il l’immobilise ou il le précipite, le transforme en « quelque chose d’autre . Il allume comme une flamme inconnue sur une chose connue de tous, la rendant ainsi « nouvelle », jamais vue, tout entière à comprendre, comme intacte. Ou bien il éteint une lumière sur une chose connue, la plonge dans l’obscurité, la rendant aussi nouvelle, tout entière à découvrir et à connaître. En un mot, l’acteur touche et isole, des mille manières que lui offre son art, les choses inconnues, jamais comprises ou mal comprises, et les fait apparaître dans leur vérité sur une scène idéale, où raison et sentiment se fondent, sans que l’une s’exerce jamais aux dépens de l’autre, mais où les deux aspects se renforcent réciproquement. »
Ce que le jeu d'acteur brechtien N'EST PAS:
Le terme "Brechtien" a souvent été utilisé pour justifier un mauvais jeu d’acteur, il me semble donc utile de décrire certaines choses que le jeu d’acteur brechtien n’est pas, afin d’aborder (dialectiquement, bien sûr) une meilleure compréhension de ce qu’il est. En bref, le jeu d’acteur brechtien ne devrait pas être :
• Caricatural
En raison de l’étiquette "politique", on pense parfois que dans le jeu d’acteur brechtien, les ouvriers doivent être joués comme des saints, les membres de la classe moyenne comme des personnes satisfaites d’elles-mêmes, et les dirigeants comme monstrueux. En réalité, la fascination de Brecht pour la contradiction signifie que le jeu d’acteur brechtien explore les différentes couches du comportement humain et montre comment il est possible d’être à la fois un scientifique héroïque et un lâche (Galilée), une victime de la guerre et quelqu’un qui vit des profits de la guerre (Mère Courage), un aristocrate bienveillant et un propriétaire terrien cruel (Puntila), un ami des pauvres et un juge sans respect pour la justice (Azdak). Le réalisme de Brecht exclut toute possibilité de caricature.
• Long et ennuyeux
L’accent mis par Brecht sur la clarté et la précision, ainsi que son insistance sur les détails sociaux, a parfois amené des acteurs à jouer les pièces de manière lourde, trop délibérée et lente. Brecht, au contraire, attendait de ses acteurs qu’ils jouent avec légèreté, esprit et plaisir de montrer comment le monde fonctionne. Il détestait le pseudo-intellectualisme de nombreux théâtres allemands et raillait leurs tendances auto-indulgentes.
• Strident
Mère Courage dit que "une colère brève ne change rien, mais une longue colère peut changer le monde", et ce sentiment de colère politique — contre l'injustice, l'exploitation, la cruauté et la guerre — sous-tend les plus grandes œuvres de Brecht et devrait informer la manière dont elles sont jouées. Mais Brecht savait que la colère prend différentes formes, et que seule la colère ne suffit pas pour changer les choses : il faut être stratégique, sophistiqué, rusé, et bien d'autres choses encore. Être strident — crier et aboyer, être imbu de soi-même et pompeux — est étranger au théâtre brechtien, et doit être évité à tout prix.
• Sans émotion
Lorsqu'elle est confrontée au corps sans vie de son fils et qu’on lui demande si elle le reconnaît, Helene Weigel, dans le rôle de Mère Courage, secoue la tête d'un air grave et nie toute connaissance. Mais lorsque les soldats emportent le corps pour le jeter dans un fossé, elle ouvre la bouche dans un grand cri silencieux. C’est un exemple parfait du type d’émotion que Brecht recherchait : il ne suffisait pas d’avoir des "sentiments", l’acteur doit nous montrer comment ces sentiments sont influencés par le contexte social dans lequel ils se trouvent. Si Mère Courage avait admis reconnaître son fils, sa subsistance aurait été détruite et sa vie mise en danger. Le jeu d’acteur brechtien fait appel à l’émotion en permanence, mais reconnaît qu’elle n’est qu’une partie de l’expérience humaine, et qu’elle change en fonction du contexte. Brecht ne voulait tout simplement pas que l’émotion devienne le seul but du jeu.
• Iréaliste
La fascination de Brecht pour le théâtre oriental et sa tendance à réduire les choses à leur essence inspirent parfois un type de jeu qui a peu de lien avec le comportement humain observable : parfois grotesque, parfois abstrait, un mauvais jeu brechtien est totalement irréaliste. Mais Brecht voulait un jeu d’acteur qui s’inspire de tous les détails matériels du monde et soit riche d’observations, mais — crucialement — qui montre que la société peut être changée. La distinction doit être faite entre une simple imitation des surfaces du monde et un art qui engage son public dans une réflexion sur la manière dont ce monde est organisé. Mais cela ne peut engager cette discussion que s’il fait constamment référence au monde matériel.
• Solennel
Brecht vivait dans une époque terrifiante — l’une des plus sombres de l’histoire — et il se lamentait souvent que, dans de telles circonstances, il lui était impossible d’écrire sur les plaisirs du monde. Deux guerres mondiales, trois dictatures meurtrières, la récession mondiale et la division de l’Europe ne sont guère des sujets pour des comédies légères. Un optimisme intérieur — aussi erroné soit-il — est la clé : le monde peut toujours être changé, et l’acteur doit montrer que c’est le cas. La solennité n'est guère ce qu'il faut.
• Sous-évalué
Peut-être en raison de l’accent mis sur un "ensemble" d’acteurs travaillant ensemble pour raconter une histoire — et en raison de l’enseignement de Brecht dans les écoles et universités — on suppose parfois que le jeu brechtien devrait être d’une certaine manière de deuxième ordre, ou amateur. En réalité, bien sûr, c’est l’inverse qui est vrai. Brecht a travaillé avec certains des plus grands acteurs de son temps, et le Berliner Ensemble à son meilleur était une galaxie de stars. Brecht sur scène a besoin d’un grand jeu d’acteur pour fonctionner.
Ce que le jeu d'acteur brechtien DOIT ÊTRE:
Alors, quelles sont les qualités du jeu d’acteur brechtien ?
• Intelligent
Brecht demande à ses acteurs de partager son analyse complexe et souvent contradictoire du monde et de la communiquer au public. Cela nécessite un engagement intelligent avec le sujet et la volonté de le partager avec les autres. Mais il est essentiel de distinguer cette intelligence de l’éducation supérieure ou de la recherche académique : il s’agit d’une conscience tranquille mais incisive de la manière dont fonctionne la société, et non d’une démonstration d’apprentissages complexes.
• Ironique
L'ironie est le ton caractéristique de l'écriture de Brecht : l'ironie qui expose l’injustice et la cruauté du monde avec un esprit sec et une satire acerbe. Jouer dans les pièces de Brecht nécessite des niveaux similaires d’ironie, ce qui soutient alors une vision fondamentalement réaliste, sceptique du monde. Une prise de conscience aiguë de l’ironie dramatique — où le public en sait plus que le personnage — est également essentielle.
• Provisoire
Brecht voulait que son épitaphe dise "Il a fait des suggestions, d'autres les ont réalisées", et dans cet esprit, il a appelé ses œuvres complètes Persuadg, ou "tentatives". Ce sens du provisoire est fondamental dans le jeu d’acteur brechtien, qui indique constamment que chaque émotion est relative, et que toutes les conclusions sont susceptibles de contradiction. Avant tout, un tel jeu montre que tout est ouvert au changement, même les opinions.
• Observateur
Le jeu d'acteur brechtien est construit à partir d'une série d'observations tirées de la vie réelle. Plutôt que de créer une performance à partir de son imagination, l'acteur brechtien puise dans les comportements qu'il voit autour de lui : "Voici comment un homme se comporte lorsqu'il perd sa maison", semble-t-il dire au public, "J’ai vu quelque chose de semblable dans ma rue", et ainsi de suite. À certains égards, l'approche est celle de Stanislavski : la différence réside dans le fait que l’acteur brechtien montre l’observation au public de manière active, tandis que l’acteur stanislavskien adopte une attitude passive envers le public et suppose que celui-ci doit être intéressé.
• Elégant
Dans Brecht, la présentation de l’action doit avoir une certaine grâce, une confiance stylée, qui fait appel au sens du plaisir et de l’élégance du public. L’erreur courante est de penser que le jeu brechtien est négligé ou maladroit : au contraire, même dans les situations les plus difficiles, l’action est présentée avec un degré considérable de joie de vivre. La performance attire alors l’attention sur l’art de l’acteur et nous aide à voir que les événements présentés peuvent être changés.
• Passionné
Brecht savait que la pensée et les sentiments ne sont pas des opposés polaires, et il voulait un jeu d’acteur passionné par la réflexion et réfléchi dans la passion. La séparation du cerveau et du cœur est, selon Brecht, un concept particulièrement bourgeois et idéalisé : regardez comment les gens réels se comportent dans des circonstances réelles, et il devient immédiatement clair que les deux sont indissociables. Ainsi, l'acteur chez Brecht doit être animé par la passion qui peut changer le monde, même lorsqu’elle est éclairée par l’intellect nécessaire pour comprendre ce qui doit être changé.
Le gestus
Brecht souhaitait créer un théâtre qui communique ses idées avec la clarté frappante d’une parabole biblique. Il s’intéressait davantage aux relations entre les individus qu’à leurs expériences personnelles et voyait le caractère d’un personnage comme le résultat des conditions sociales, et non l’inverse. De plus, son esthétique était très figurative, et il admirait la présence de la figure humaine dans l’art chrétien, oriental et classique. Il était fasciné par le réalisme de ces œuvres et par la tridimensionnalité des meilleures d’entre elles.
Brecht a emprunté le terme « gestus » à La Dramaturgie de Hambourg de Lessing (1767) et l’a utilisé pour décrire l’expression physique des relations entre les individus dans la société. Ce concept est l’un des plus importants dans le théâtre brechtien.
« Sous le terme de gestus, il faut entendre un ensemble de gestes, de jeux de physionomie et le plus souvent de déclarations faites par une ou plusieurs personnes (à l’adresse) d’une ou de plusieurs autres. »
Définition
Le gestus est un concept que Brecht utilise pour décrire les gestes et les attitudes qui montrent comment les gens interagissent entre eux, en fonction de leur situation sociale. Par exemple, un geste simple comme pointer du doigt peut dire beaucoup sur une relation sociale.
Brecht voulait que ses acteurs montrent ces relations de manière très claire et frappante, en utilisant des gestes qui révèlent les tensions sociales sous-jacentes. Par exemple, un personnage qui travaille peut utiliser des gestes qui montrent qu’il est en train de lutter contre la nature, tandis qu’un personnage qui souffre peut exprimer sa douleur de manière différente selon les circonstances sociales.
Ce qui est important dans le gestus, c’est que ce n’est pas seulement un geste physique, mais aussi une manière de montrer comment les relations humaines sont influencées par la société. Dans le théâtre brechtien, ces gestes sont utilisés pour provoquer une réflexion chez le public sur le monde social et politique.
En pratique
Essentiellement, le gestus signifie présenter l'action avec des guillemets autour d'elle (une extension directe de l'aliénation élective) : "voilà comment une femme se tient en prétendant ne pas reconnaître le corps de son fils pour maintenir ses affaires"; "voilà comment un scientifique est assis en prétendant avoir abandonné la quête de la vérité scientifique"; "voilà comment un juge rend son jugement, qui, n'ayant aucune compréhension de la loi, est le plus susceptible d'infliger une injustice aux pauvres", etc.
Brecht voyait des gestus partout, et ils devinrent les éléments constitutifs de ses productions :
Chaque incident a son gestus de base : Richard Courtenay courtise la veuve de sa victime. La vraie mère de l’enfant est retrouvée par un cercle de craie. Dieu a un combat avec le Diable pour l’âme de Docteur Faust, etc. L’agencement des personnages sur scène et les mouvements des groupes doivent être tels que la beauté nécessaire soit avant tout atteinte par l’élégance avec laquelle le matériau transmet que le gestus est exposé et mis à nu à la compréhension du public.
Brecht insistait sur le fait qu’une performance devrait être constituée d’une série de gestus, dont beaucoup pourraient sembler contradictoires.
En séparant ce matériau en un gestus après l’autre, l’acteur maîtrise son personnage en maîtrisant d’abord l’histoire. Ce n’est qu’après avoir parcouru l’ensemble de l’épisode qu’il peut, pour ainsi dire, d’un seul coup, saisir et fixer son personnage, avec toutes ses caractéristiques individuelles. Une fois qu’il a fait de son mieux pour se laisser surprendre par les incohérences dans ses diverses attitudes, sachant qu’il devra, à son tour, surprendre le public avec ces incohérences. Ainsi, jouer avec un gestus nécessite une compréhension complète de la pièce et un désir de partager cette compréhension avec le public.
Pour y parvenir, Brecht demandait parfois à ses acteurs de préfixer chaque action d’un petit commentaire : "voilà comment le propriétaire paie ses paysans", "regardez comment le mendiant valide de corps devient un héros de guerre blessé", "regardez comment Mère Courage défend son stock des demandes de charité", et ainsi de suite. L’objectif était d’encourager un jeu théâtral qui soit à la fois ludique et objectif et de montrer des observations individuelles avec un ensemble d’attitudes physiques clairement définies, qui pouvaient être facilement comprises. Cela allait même jusqu’à la manière dont les acteurs devraient présenter la pièce au public .
Brecht et Stanislavski
Alors que Stanislavski met en avant le personnage, Brecht donne lui, le primat à la fable. Stanislavski et lui recherchent l'un et l'autre la vérité du jeu dans la représentation d'un processus, cependant celle-ci est pour chacun d'eux différente: pour le premier, le personnage autonome et psychologiquement vrai est le point de départ et la condition de l'action alors que pour le second, l'événement social détermine le personnage qui tire de lui sa réalité. Et si Brecht intègre à son travail certaines méthodes de Stanislavski, notamment celles qui visent à obtenir l'identification, c'est qu'elles représentent pour lui une étape, dont il reconnaît la nécessité qu'il s'agit de dépasser: le comédien s'approprie le personnage pour s'en éloigner par la suite.
Exercices pour l'acteur
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