Le théâtre du Moyen-Âge
« Le théâtre médiéval est un spectacle total, une fête collective où la cité tout entière se reconnaît et se met en scène. »
Oyez, oyez, mes gentes dames et nobles seigneurs ! Que l’on se le dise en place publique : le théâtre médiéval, c’est pas d’hier qu’il a vu le jour, mais c’est pas non plus d’aujourd’hui qu’on en sait grand-chose ! Entre le VIe et le Xe siècle, c’est un vrai trou noir, on sait pas ce qui se jouait, mais on sait surtout qu’on en a point gardé de traces. P’t’être qu’ils jouaient en catimini, p’t’être qu’ils faisaient des farces sans rien noter, allez savoir !
Toujours est-il que, dès qu’on y voit plus clair, le théâtre, il est tout imbibé de religion ! Les saints hommes, ils l’avaient pas forcément en odeur de sainteté, mais ça n’a pas empêché les bonnes gens de le mêler aux festivités chrétiennes. C’est là qu’il prend racine, c’est là qu’il se développe, et c’est là qu’il devient incontournable !
Alors, oui, bien sûr, y’a eu du théâtre profane, des bonnes vieilles pièces où on se gausse sans craindre l’enfer. Mais faut pas se leurrer, c’était pas la majorité. Les religieux ont eu la mainmise sur le spectacle bien longtemps avant que la comédie ne prenne son envol.
Bref, le théâtre médiéval, c’est un peu comme une bonne vieille ripaillerie : y’a du sacré, y’a du profane, mais c’est toujours dans la tradition qu’il trempe sa plume !
Les origines religieuses
Oyez, oyez, bande de gueux et preux chevaliers, prêtez l’oreille à c’te belle histoire du théâtre médiéval !
Tout commença en Angleterre, vers l’an de grâce 970, quand un évêque du nom de Winchester décida qu’un bon spectacle valait mieux qu’un long sermon. Pour les fêtes de Pâques, il mit en scène la résurrection de Jésus avec des moines grimés en anges et en saintes femmes. Point de décor en carton-pâte, mais un tombeau factice, du latin en guise de dialogue et des chants pour l’ambiance mystique. Et hop, sans même le savoir, l’Église venait d’inventer le théâtre religieux, avec la Visitatio Sepulchri en vedette !
Mais attention, messires et gentes dames, point d’acteurs professionnels ni de tréteaux dans les ruelles ! Non, que nenni ! Ces représentations se jouaient au cœur même des cérémonies, et tout ce petit monde y croyait dur comme fer, même si les femmes étaient jouées par des moines barbus… Après tout, c’était l’émotion et la foi qui comptaient, pas le réalisme !
Petit à petit, ce théâtre sacré se propagea dans toute l’Europe sous le nom de Ludus de Ressurectione. Et comme tout bon spectacle qui marche, il connut des suites ! On ajouta des épisodes, on traduisit en langue vulgaire pour que le peuple pige enfin quelque chose, et les abbayes, pas bégueules, se mirent même à adapter Plaute et Térence pour moraliser la populace.
Puis, au XIIe siècle, v’là qu’un autre genre fit son apparition : la Passion, qui racontait les souffrances de Jésus avec force émotions et un brin de pathos. Et à force de jouer les souffrances des saints, on se dit que les miracles aussi, ça ferait un bon show ! Les "Miracles de Nostre Dame" devinrent des best-sellers du théâtre religieux populaire : un pauvre bougre en détresse, la Vierge qui descend du ciel, un miracle en direct, et hop, tout le monde ressortait le cœur gonflé de foi (et parfois de larmes).
Ah, mais ce n’est pas tout, bande de ribauds ! Car les confréries de métiers, toujours en quête d’une bonne fête, s’en mêlèrent et organisèrent leurs propres spectacles lors des célébrations de leurs saints patrons. À coups de prières, de processions et de pièces édifiantes, le théâtre devint une affaire de communauté, et la scène médiévale trouva ses marques.
Ainsi naquirent le jeu, le miracle et la passion, trinité sacrée du théâtre médiéval, fondements d’un art qui, bien que pieux à l’origine, finira par donner naissance à des farces bien plus irrévérencieuses… Mais ceci, mes bons amis, est une autre histoire !
Les conditions historiques et sociales
Oyez, oyez, braves manants et nobliaux de tout acabit ! Laissez-moi vous conter comment le théâtre médiéval trouva son terreau dans le grand remue-ménage du XIVe et du XVe siècles !
En ces temps troublés, l’Europe voyait fleurir les villes comme des champignons après la pluie. D’un côté, le commerce et l’artisanat faisaient tourner les écus, et de l’autre, la peste et la guerre de Cent Ans taillaient la population en pièces. Les cités devenaient à la fois des carrefours marchands, des forteresses et des sièges de tribunaux, sans oublier qu’elles récupéraient peu à peu l’enseignement, jusqu’alors monopolisé par les abbayes. Bref, un vrai bouillon de culture où la vie publique prenait de l’ampleur !
Or, qui dit vie publique, dit festivités ! Les bons bourgeois et les édiles ne se privaient pas d’organiser moult réjouissances en l’honneur du saint patron de la ville ou lors des grandes fêtes religieuses. Et là, patatras ! Voilà que les corporations et confréries s’en mêlaient aussi, apportant leurs propres spectacles dans la danse ! L’Église, bien sûr, gardait la main sur tout ce petit monde, mais elle n’était plus seule à tirer les ficelles.
Mais ce n’est pas tout, mes amis ! Car au XIIIe siècle, les universités commencèrent à pointer le bout de leur nez, et avec elles, de jeunes esprits avides de savoir ET de distractions. Ces étudiants, un peu têtes brûlées sur les bords, fondèrent à Paris la Basoche, une société reconnue par le roi, où clercs et lettrés se réunissaient pour festoyer et s’amuser. Ces gaillards cultivés, toujours prêts à plaisanter, devinrent ainsi auteurs, acteurs et spectateurs à la fois.
Ajoutez à cela les foires, véritables bazars grouillants de vie où marchands et chalands venaient faire affaires et chercher du divertissement. Pour combler leur ennui entre deux négociations, des troupes de bateleurs et autres amuseurs publics proposaient spectacles et bouffonneries. C’est ainsi qu’un véritable marché du théâtre vit le jour, partagé entre des représentations « officielles » contrôlées par l’Église et la municipalité, et des spectacles plus libres qui fleurissaient dans les rues et les foires.
En somme, si le Moyen Âge connut bien des misères, il n’en oublia pas pour autant de rire et de s’émerveiller. Et le XVe siècle ? Eh bien, mes bons amis, ce fut tout bonnement l’âge d’or du théâtre médiéval !
Acteurs, auteurs et entrepreneurs de théâtre
Oyez, oyez, nobles damoiselles et preux jouvenceaux ! Venez ouïr la grande saga des histrions et autres faiseurs de théâtre en ces âges reculés !
Parmi les saltimbanques et bateleurs de foire, certains eurent la brillante idée de jouer des « personnages ». Pas de femme en scène, que nenni ! Les rôles féminins étaient confiés à de jeunes damoiseaux imberbes ou à de vieux briscards bons pour incarner nourrices et mégères. De troupes fixes, point ! On s’assemblait le temps d’une fête, puis chacun reprenait sa route. Quant aux pièces, elles étaient courtes et retenues par cœur, sauf pour les braves artisans ou clercs recrutés pour l’occasion, à qui l’on confiait leur texte sur de précieux parchemins, d’où le mot « rôle », mes bons amis !
Quand une ville ou une confrérie voulait festoyer en grande pompe, elle appelait un entrepreneur. Ce dernier devait tout organiser : bâtir une scène (toujours provisoire, faut pas pousser non plus !), trouver des acteurs, des costumes, des décors et de la machinerie – et veiller à ce que tout cela ne coûte pas un bras ! Les artisans engagés pour jouer devaient même être dédommagés, sinon gare aux réclamations ! Et pour écrire tout ça, il fallait bien des auteurs ! Quelques rimeurs célèbres comme Rutebeuf, Gringore ou de La Vigne s’y essayèrent, mais la plupart des scribouillards restèrent anonymes, recyclant allègrement les vieilles recettes théâtrales.
À Paris, dès le XIVe siècle, une bande de malins eut l’idée de se spécialiser dans le métier : les Confrères de la Passion. En 1402, un privilège royal leur donna le monopole des spectacles. Mais ils n’étaient pas seuls sur le coup ! À côté, la Basoche et d’autres associations de jeunes gens profitaient aussi des réjouissances du Carnaval pour monter leurs propres spectacles. Ainsi, le théâtre cessa peu à peu d’être l’affaire exclusive de l’Église et trouva sa place au cœur de la vie urbaine.
Bref, mes bons amis, le théâtre médiéval n’était pas encore un grand bazar professionnel, mais il était bel et bien entré dans les mœurs des cités, pour le plus grand plaisir du peuple !
Les grands genres : Mystères et Passions
Oyez, oyez, braves gens ! Laissez-moi vous conter les merveilles du théâtre médiéval, où se mêlent ferveur religieuse et grand spectacle !
Le genre de référence en ce temps n’est autre que la Passion, qui retrace la mort du Christ, jouée d’abord pour Pâques. Ce théâtre religieux, héritier des miracles, gagne en ampleur au fil des siècles : voyez donc la Passion de Semur du XVe siècle, une pièce de 10 000 vers jouée en deux journées ! Mais bientôt, la Passion engendre un genre encore plus ambitieux : le Mystère. Toujours centré sur des récits bibliques, le mystère se distingue par son gigantisme.
À Paris, en 1452, un certain Arnould Gréban compose un mystère de 34 000 vers, nécessitant quatre journées de représentation. Mais ce n’est rien comparé aux sommets atteints au XVIe siècle ! Imaginez un Mystère de la Passion joué à Valenciennes en 25 journées, ou encore les Actes des Apôtres à Paris, étalés sur tout un été en 40 séances ! Les représentations ont lieu l’après-midi, sur une grande place où une estrade est montée pour l’occasion. L’entrée est payante, et il semble même qu’on puisse acheter des billets pour plusieurs jours, ancêtres de nos abonnements modernes. On parle de 5 000 spectateurs pouvant prendre place sur les gradins, signe de l’engouement populaire pour ces spectacles !
Les sujets les plus courants restent la Passion du Christ, mais d’autres récits religieux sont aussi mis à l’honneur : les Mystères de Nostre Dame, les vies des apôtres ou encore Saint Martin. Ces pièces sont de véritables superproductions médiévales, avec des décors multiples simultanés. L’espace scénique est divisé en plusieurs "mansions", petites loges représentant différents lieux. Le public accepte la convention : lorsqu’une scène commence dans une mansion, tout l’espace devient ce lieu. Les deux pôles majeurs sont le Ciel et l’Enfer, toujours spectaculaires. Autour, on trouve Jérusalem, des palais, des temples… selon les besoins du récit.
Le spectacle est total : décors sculptés et peints, costumes rutilants, machineries impressionnantes ! On fait voler des anges dans les airs, tandis que l’Enfer gronde avec ses flammes et sa fumée. Effets spéciaux garantis ! Et que dire des trompettes célestes ou des tambours infernaux qui rythment l’action ? Les acteurs, eux, jouent avec vigueur : les anges et les saints adoptent des postures majestueuses, tandis que les diables gesticulent avec frénésie. Les humains, eux, oscillent entre ces deux extrêmes, tiraillés entre le Bien et le Mal.
Mais attention ! Ce théâtre religieux ne se prive pas de moments comiques ! Oui, mes amis, même dans un Mystère de saint Martin d’André de La Vigne (1496), on ose insérer une farce burlesque en pleine agonie du saint ! Et pour enfoncer le clou, on y glisse une Moralité de l’aveugle et du boiteux, où deux mendiants bénéficient d’un miracle... mais l’un se lamente car son infirmité était son gagne-pain !
Enfin, ne l’oublions pas, ces spectacles sont aussi des manifestations idéologiques et politiques. Jouer un Mystère du siège d’Orléans au XVe siècle, c’est glorifier Jeanne d’Arc et, à travers elle, la monarchie française. Les mystères ne sont donc pas seulement des divertissements : ils célèbrent une communauté, une foi, une appartenance. Une ville qui produit un grand mystère affirme sa puissance !
Ainsi, le théâtre médiéval n’est pas qu’un simple passe-temps : c’est une affaire de foi, de spectacle, de pouvoir et d’émotions !
Les Moralités
Oyez, oyez, amis du théâtre et de la morale ! Après les mystères et les passions, un autre genre brille de mille feux au Moyen Âge : la moralité !
Mais qu’est-ce donc ? Moraliser, en ce temps, signifie révéler un sens caché, donner à voir, sous une forme concrète, des principes abstraits. C’est ainsi que ces pièces donnent vie à des concepts : Entendement, Raison, Volonté, Maladie, Mort, Le Monde, Le Diable, La Chair… et même les péchés capitaux en chair et en os !
Voyez par exemple Bien Avisé Mal Avisé (env. 1430-1440) : la scène prend la forme d’un V, où deux personnages suivent des chemins opposés. Bien Avisé gravit les étapes des sacrements pour atteindre Bonne Fin – la mort chrétienne. Mal Avisé, lui, s’égare dans les vices et aboutit à Male Fin, l’Enfer éternel. On ne saurait être plus clair !
Mais les moralités ne se limitent pas à l’abstraction. Le héros de la Moralité des enfants de maintenant est... un boulanger ! Un homme du peuple, un « Monsieur Tout-le-Monde » de l’époque, qui permet au spectateur de s’identifier et de mieux comprendre l’enjeu moral. Ici, pas de miracle spectaculaire : la foi passe par la raison. L’objectif ? Enseigner à juger les biens terrestres en fonction de la vie éternelle.
Cependant, ne vous y trompez pas : ces pièces ne sont pas de simples prêches ! Elles relèvent du grand spectacle, à l’égal des mystères. Imaginez donc L’Homme juste et l’Homme mondain (Tarascon, 1476) : 30 000 vers, lignes de prose et 80 rôles ! De véritables fresques scéniques ! Elles convoquent tous les genres littéraires : éloquence, poésie, récits... Elles s’inspirent parfois de textes savants, mais elles savent aussi séduire leur public avec des scènes plus légères.
Ainsi, pour illustrer les vices, les moralités nous entraînent parfois au cabaret, où se déroulent des scènes à l’humour grinçant. Car si le message reste édifiant, le rire est un puissant moyen de captiver les foules. Ces pièces ne sont donc pas réalistes au sens moderne, mais elles savent alterner moments de détente et leçons de morale.
La satire n’est pas en reste : on raille, on critique, on dénonce, mais toujours dans un but pédagogique. Et ce succès n’est pas qu’un phénomène français : les moralités rayonnent dans toute l’Europe ! En Angleterre, en particulier, elles connaissent une immense popularité.
Hélas, ce genre est aujourd’hui tombé dans l’oubli... Mais au XVe siècle, il régnait sur les scènes, alliant spectacle et réflexion, divertissement et enseignement. Un théâtre éthique et grandiose, où chaque spectateur trouvait matière à méditer sur son destin... et à en rire parfois !
Naissance du théâtre français profane
Les premières pièces
Sachez que par le temps jadis, en la bonne ville d’Arras, fut donné un jeu bien singulier, né point de saintes écritures, mais de l’esprit vif et malicieux d’Adam de La Halle, rimeur subtil et maître en joyeuses moqueries. Ce Jeu de la feuillée, point dévot, montrait non point miracles et martyrs, mais la folie des hommes en farces et aventures. Voyez trois jeunes gens, pleins d’espoirs et de festins, convier trois fées pour quémander faveurs et dons. Mais l’une, courroucée, en retour donna maléfices et égarements, brisant leurs songes en mille chimères. Là aussi, en cet ouvrage, la cité d’Arras, riche et vaniteuse, était croquée en caricature, et le peuple, en riant de ses travers, se mirait en ces traits burlesques.
Puis, le même Adam fit encore un jeu, mais cette fois d’autre nature. En ce Jeu de Robin et Marion, point de saints ni d’anges, mais simples bergers et gentes dames. Marion, douce et sage, fut convoitée par un chevalier hardi, mais fidèle à son Robin, point ne se laissa prendre aux belles paroles. Était-ce un conte d’amour champêtre, ou bien un divertissement offert en l’honneur d’épousailles ? Nul ne sait, mais le peuple en rit, y reconnaissant la malice du monde.
Et d’autres pièces, comme Courtois d’Arras, se jouèrent de même, moquant en leur trame les illusions des hommes et leurs désirs vains. Voyez ce jeune Courtois, las de sa ferme et rêvant fortune en terres lointaines, mais sitôt dupé qu’il en fut réduit à rentrer penaud et bredouille. Voilà bien la parabole de l’enfant prodigue, contée non en prêche, mais en comédie, où chacun devait voir, sous la farce, la leçon cachée.
Ainsi donc advint que le théâtre, autrefois enclos dans les récits de foi et de miracles, trouva voix nouvelle en rires et satires. Par jeux et mascarades, le peuple se vit lui-même, se moqua, s’instruisit, et dans la liesse des foires et des confréries, mêla sagesse et folie, verve et bon sens. Ainsi fut le théâtre profane en son aube, ainsi le monde en rit et s’en émerveilla !
Un théâtre de "carnaval"
Par le temps jadis, quand l’an s’achevait et que le jour rallongeait enfin, advint une coutume où le monde à l’envers se donnait en spectacle : la fête des Fous. Voyez donc ces clercs, ces prêtres, qui troquaient chapes et missels contre grelots et chapeaux d’âne, chantant folies en la nef sacrée, parodiant offices et processions. Voyez le Carnaval, où masques et pantomimes moquaient rois et seigneurs, où le fou devenait prince et le prince, pantin. Par ces jours de licence et de tumulte, la rumeur du peuple se faisait éclat, et au sein des réjouissances, quelque théâtre prit vie.
Car, en ces festes dissolues, quelques malins de la Basoche et autres compagnies firent naître un théâtre bien autre que celui des saints et martyrs. Point de Passion, point de Mystère, mais jeux moqueurs et contes enjoués ! En la foire, en la place publique, même en la taverne, montaient de frêles tréteaux, faits de planches et de tonneaux. Quatre rieurs, un bouffon masqué, et la farce était jouée ! Peu d’artifice, nul décor somptueux, mais moult grimaces et facéties, moqueries du prêtre gras et du marchand ladre, du mari trompé et du badaud crédule. Le rire fusait, le vin coulait, la bourse s’ouvrait.
Ainsi naquit ce théâtre de Carnaval, farces et folies jouées au gré des saisons, des foires et des noces. Un divertissement point fait pour instruire ni édifier, mais pour rire, tromper l’ennui, et parfois railler les puissants. Voilà le théâtre qui, peu à peu, quitta l’église pour la rue, qui délaissa l’autel pour le tréteau, qui troqua les anges pour les fous ! Ainsi rit le Moyen Âge, ainsi rit le peuple, et par le rire, se moqua du monde !
Le dit et la farce
Oyez, oyez, gens de verve et de joyeuseté, voici venir dits et farces, où le verbe est affûté comme lame d’épée, où la grimace vaut mille paroles !
D’abord, le dit, cette parole jetée en l’air, monologue ou fanfaronnade, où le conteur seul tient la scène. Rutebeuf, maître en l’art du verbe, fit rire et grincer de ses récits. Écoutez donc son Dit de l’herberie, où le camelot à la langue fourchue vendra remèdes et poisons en une même phrase, jouant du verbe comme on joue de la bourse des badauds.
Et si d’aucuns vantent leur bravoure, attendez donc qu’un autre vienne les confondre ! Ainsi le Franc-Archer de Bagnolet, soldat de pacotille, qui se dit héros mais tremble à la première alerte. Car le dit sait bien comment démasquer le fat et moquer l’imbécile.
Mais, quand un second vient se joindre au jeu, alors naît le dialogue ! Voyez deux archers sur la route de Naples, se vantant d’exploits qu’ils n’ont jamais faits : parole contre parole, bravache contre bravache, jusqu’à ce que la vérité éclate en rires moqueurs.
Et puis, plus bas encore, dans la poussière et les rires gras, voici la farce, qui joue de gestes plus que de mots, qui se rit de tout et surtout des sots. Farce de coups de bâton et de grimaces, farce où le mari jaloux est trompé, où le nigaud devient rusé, où le monde est renversé le temps d’un éclat de rire. Qu’est-ce qu’une farce ? C’est l’art du bon tour, le plaisir de voir l’arrogant roulé dans la farine !
Voyez donc La Farce du Cuvier, où un mari soumis, écrasé par femme et belle-mère, les berne enfin en les laissant patauger dans leur propre folie. Voyez Maître Pathelin, avocat sans cause et sans scrupule, qui berne un marchand de drap en feignant la maladie et se trouve pris à son propre piège quand son client, un berger simplet, lui retourne la ruse par un simple « bêê ». À malin, malin et demi, dit-on, et la farce le prouve à qui veut rire !
Ainsi, par la farce, le monde devient jeu, la ruse devient justice, et le rire est roi. Car si le Moyen Âge pleure ses saints et ses martyrs, il se gausse aussi de ses sots et de ses fats. Et dans les rues et sur les tréteaux, c’est le rire qui triomphe !
La sottie
Ici point de raison, point de mesure ! Seules règnent la folie et la dérision. Les Sots, ces cousins du badin de la farce, virevoltent et s’agitent, vêtus de leurs costumes bigarrés, coiffés de leurs bonnets à grelots. Leur reine est la Mère Sotte, et leur patrie n’est autre que Sottie, terre sans foi ni loi, où les mots se bousculent et où la logique chancelle. Leur langage ? Un sabir délirant, un fatras de calembours et d’équivoques où la sottise devient sagesse et la folie, clairvoyance.
Mais prenez garde ! Car si la sottie fait rire, elle pique aussi. Elle est le miroir des travers du siècle, et sous les grimaces de ses fous se cache une langue bien affûtée. Rois, clercs, bourgeois, nul n’échappe à leur verve mordante ! Ainsi, en l’an 1492, la Farce des pattes ointes moque l’impôt nouveau que le roi impose à l’université de Rouen. Car la sottie ne respecte rien, et surtout pas le pouvoir.
Mais que voici ? Les Sots eux-mêmes deviennent serviteurs du prince ! En l’an 1512, le bon roi Louis XII convoque le poète Pierre Gringore pour écrire la Sottie du Prince des Sots. Le Pape Jules II y devient la Mère Sotte déguisée en Sainte Église, tyrannisant le peuple. Et les Sots, prenant parti pour leur prince, lui arrachent ses ornements pontificaux. La sottie s’élève ainsi du bouffon au politique, du grotesque au pamphlet.
Mais à trop jouer avec le pouvoir, la sottie se trouve domestiquée, instrumentalisée. Le sot railleur devient sot serviteur, et peu à peu, le rire libre des tréteaux cède aux prudences du temps. Ainsi s’achève l’âge d’or des Sots, et avec lui, un théâtre où la folie faisait vérité.
La fin du théâtre médiéval
Oyez, oyez, bonnes gens, car voici que s’éteint l’âge du théâtre ancien !
Le XVIe siècle fut encore plein de farces et de sotties, de moralités et de mystères. Les foules s’y pressaient en liesse, préférant la scène aux prêches des églises. L’Église, point contente, s’émut grandement de voir son peuple délaisser les autels pour les tréteaux. Les autorités, elles aussi, s’en alarmèrent : trop de jeux, trop de rires, trop de dépenses ! Les artisans délaissaient leurs échoppes, les marchands leurs comptes, et la ville bruissait d’un tumulte peu propice au bon ordre.
Aussi advint-il qu’en l’an de grâce 1548, le Parlement de Paris, sourd aux clameurs des histrions, prononça l’arrêt fatal : les jeux sacrés furent bannis. L’histoire en fait souvent l’instant où le théâtre médiéval rendit l’âme. Pourtant, il vécut encore quelque temps. Dans les provinces, loin des rigueurs parisiennes, des farces se jouaient toujours, et les bateleurs faisaient encore vibrer les foules.
Mais ce n’étaient point là les seules causes de ce déclin. Le siècle était au changement. Les guerres de religion rompaient l’unité des croyants, et ce qui jadis unissait les âmes se trouva désormais fracturé. Les grands mystères, où se reflétait la communauté tout entière, ne pouvaient plus résonner dans un monde divisé.
D’autres formes s’élevaient alors, d’autres voix s’imposaient. Le théâtre ne mourut point, il se transforma. Ainsi finit l’époque des tréteaux de fortune et des jeux populaires, mais naquirent en leur sillage les fastes nouveaux de la scène renaissante. Ainsi va le monde : ce qui fut hier splendeur devient aujourd’hui mémoire, et demain verra naître d’autres merveilles.
Références bibliographiques


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