Lieux scéniques dans la Rome antique
[...] « Lieu de divertissement et de confort (on évite l'exposition des spectateurs au sud), le théâtre romain n'a plus rien de sacré. Tout est fait pour qu'on entende et qu'on voie parfaitement les acteurs : les lieux ont des dimensions plus modestes qu'en Grèce, la couverture du proscenium (l'estrade), les résonateurs placés sous les gradins (la cavea) et le velum tendu au-dessus du bâtiment (qui ménage également de l'ombre) favorisent les conditions d'écoute.[...]
L'ampleur de la cavea est limitée et l'estrade, qui surplombe une orchestra réduite et de plus en plus négligée, prend toute la largeur du théâtre et gagne en profondeur pour que les comédiens disposent de toute la place nécessaire. L'immense mur de scène (la scaena) est, comme en Grèce, percé de trois portes, et peint en trompe l'œil. À mesure que le bois des théâtres provisoires laisse la place à la pierre (dès le Ier siècle av. J.-C. les scènes sont en matériaux durs), les statues, les frontons et les colonnes apparaissent sur le mur du fond, déterminant trois étages. Les décors peints (de trois types : palais, ville et campagne respectivement pour la tragédie, la comédie et le drame satyrique) sont placés sur des éléments mobiles : toiles fixées sur des tourniquets à trois pans (des périactes) ou toiles peintes glissant les unes derrière les autres, qu'on peut accrocher au toit du proscenium, lequel joue le rôle du cintre futur. L'essentiel repose donc sur une frontière nette entre le monde de la réalité (les spectateurs) et celui de la fiction. Tout est profane, tout est spectacle, tout est plaisir de l'ouïe et du regard, dans un bâtiment clos sur lui-même. »
Christian Biet : L'espace théâtral : un lieu de partage, TDC, CNDP, 1999
La scène et les gradins
Les jeux scéniques, comme leur nom l’indique, sont caractérisés par la présence de la scène, ou frons scaenae, un mur de scène devant lequel les acteurs, ou ludii, jouent. Ce terme, scaena, provient du grec skènè et désigne une scène d’un type de théâtre grec. À l'origine, le theatron grec était un espace constitué de gradins, situé sur une pente naturelle autour d'une orchestre, où se produisait un chœur. Derrière cette structure se trouvait une skènè, une baraque séparée de l'orchestre. Ce modèle initial évolue au fil du temps, notamment pendant la période hellénistique.
En ce qui concerne la scène et les gradins, les Romains ne commencèrent pas par la construction d’un theatron complet pour organiser des jeux scéniques. À Rome, le premier théâtre de pierre, qui incluait une scène et des gradins, fut construit par Pompée en 55 av. J.-C., dans le Champ de Mars, à l'extérieur de l'enceinte sacrée de la ville (pomerium). Avant cela, des scènes temporaires étaient installées, parfois dans des cirques ou sur les marches des temples.
En ce qui concerne les gradins, il semble que dans les premières années, le public était debout lors des spectacles, une pratique soutenue par des textes de Tite-Live et Tacite, bien que ces témoignages ne soient pas toujours en accord avec les références aux bancs dans les pièces de Plaute. Il est possible que ces historiens reflètent une vision idéalisée et archaïque des premiers temps de Rome. En réalité, les jeux scéniques étaient souvent accompagnés de gradins en bois, appelés cauae, et l’espace était souvent clos, créant un environnement sonore distinct du monde extérieur.
Il convient également de noter que la construction de théâtres permanents en pierre rencontra une résistance politique. Plusieurs projets furent annulés, notamment en 155 et 145 av. J.-C., à cause de préoccupations liées à la sécurité publique et à la crainte de démagogues influençant les foules. Ce n'est qu’en 55 av. J.-C. que Pompée réussit à faire construire le premier théâtre de pierre à Rome, capable d’accueillir 40 000 spectateurs. À partir de cette époque, d'autres théâtres furent construits, notamment sous le règne d'Auguste, dans le Champ de Mars.
Quant au modèle du théâtre romain, il s’inspire des théâtres grecs d'Italie du Sud et de Sicile. Bien que certains textes anciens attribuent l’inspiration du théâtre de Pompée au théâtre de Mytilène, les archéologues estiment qu’il ressemble davantage à ceux construits dans le Sud de l’Italie. L’édifice de Pompée, avec son grand mur de scène rectiligne et ses colonnes, est un exemple de la manière dont les Romains ont adapté les structures grecques à leur propre conception architecturale. Le théâtre de Pompée fut aussi un lieu de promenade, grâce à son environnement architectural complexe, comprenant des portiques, des arbres, et un bassin, créant ainsi un espace urbain multifonctionnel.
Un théâtre fait pour entendre
Le théâtre romain, tout comme le grec, est conçu non seulement comme un lieu de spectacle mais aussi comme un espace soigneusement étudié pour optimiser l’acoustique et l’expérience sensorielle des spectateurs. Cette approche est pleinement détaillée dans les écrits de Vitruve, un théoricien de l'architecture sous César et Auguste. Dans ses descriptions des théâtres, Vitruve se concentre sur des principes géométriques rigoureux et met en avant des critères fondamentaux tels que la salubrité et l'acoustique.
L'une de ses préoccupations majeures est la santé des spectateurs, qu’il place au centre de la conception des théâtres. En effet, il insiste sur le fait qu’un lieu de spectacle ne doit pas exposer le public à des conditions nuisibles, comme des vents malsains, qui peuvent nuire à leur bien-être, en particulier lorsqu’ils restent longtemps assis, avec leurs familles. Les jeux scéniques, qui captivent les spectateurs, peuvent induire une immobilité prolongée, et Vitruve prévient des dangers liés aux courants d'air provenant de zones marécageuses ou insalubres, susceptibles d'introduire des exhalaisons nocives dans l’air.
L'accent est également mis sur l'acoustique, un facteur essentiel pour un théâtre romain. Bien que le mot theatrum ait des racines grecques, signifiant "lieu du regard", le théâtre romain est avant tout conçu pour l'écoute. Selon Cicéron, les jeux scéniques sont souvent accompagnés de musique, de chants, de voix, de lyres et de flûtes, et la disposition des gradins est pensée pour que le son parvienne parfaitement aux spectateurs, même dans les derniers rangs. Cette acoustique est réalisée grâce à une structure en forme de conque dans les théâtres en bois. Dans les théâtres en pierre, Vitruve détaille comment les vases de bronze ou de terre, placés stratégiquement dans les gradins, servent à amplifier et à enrichir le son, selon des principes basés sur la musique harmonique d'Aristoxène.
Enfin, le théâtre romain ne se limite pas à sa fonction de lieu de spectacle ; il fait partie d'un projet urbanistique plus large, intégrant des espaces de promenade. Vitruve recommande de construire des portiques derrière le grand mur de scène aveugle et d’aménager des promenoirs. Ces portiques servent de galeries où sont exposées des statues et des œuvres d’art, tandis que des jardins sont aménagés entre eux. Cette organisation souligne l’aspect multifonctionnel du théâtre romain, qui devient ainsi un espace de détente et de culture, tout en restant un lieu central pour les spectacles.
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