Le fait théâtral - La séance théâtrale

 

Définitions

 

L’introduction des termes « séance théâtrale » et « fait théâtral » dans les nouveaux programmes a un double rôle. Elle caractérise l’enseignement du théâtre tel qu’il s’effectue déjà souvent dans les classes en même temps qu’elle ouvre sur une didactique propre à cet enseignement en incluant les dernières avancées de la recherche en études théâtrales. En effet, les précédents programmes reflétaient encore par endroit le rattachement historique du théâtre à la littérature. Si le texte garde une belle place dans les programmes, il n’occulte plus d’autres liens entretenus avec les sociétés dans lesquelles il apparaît et prospère. Ainsi, l’approche sémiologique et esthétique du spectacle comme « représentation » est complétée par une approche perceptive mais aussi anthropologique et sociale de l’objet-théâtre.

 

Ces deux expressions trouvent leur assise théorique dans Qu’est-ce que le théâtre ? de Christian Biet et Christophe Triau. Elles sont proposées d’une part sous l’expression « séance de théâtre », d’autre part tel quel pour le « fait théâtral ». Elles sont ici complétées par la définition de la performance au sens neutre, afin d’en faciliter la compréhension.

La définition de la « séance de théâtre »

Il s’agit de « remplacer l’étude du texte par l’étude de la séance de théâtre (qui replace la performance théâtrale à l’intérieur du temps et du lieu de l’interaction avec le public),en déplaçant le mode d’observation et l’objet (« scientifique ») de l’étude (le texte  littéraire) par un travail sur la relation entre la performance – qui n’ignore pas le texte mais le comprend dans une unité plus vaste – et le texte, [pour gagner] en précision, et surtout [pour être] à même de rendre compte du processus historique et simultanément d’impulser une dynamique dramaturgique pour la mise en scène contemporaine du théâtre du passé. »

 

La définition de la performance au sens neutre

Le théâtre est toujours une performance, au sens large, comme l’opéra, le cirque et la danse avec lesquels il entretient des rapports étroits et contrairement par exemple au cinéma.

« La performance sera [...] la manifestation corporelle (gestuelle, voix, mouvement) dans le cadre d’un lieu spécifique conçu pour être observé [...] C’est là la définition neutre de la performance et du performer : ne pas seulement faire, mais montrer qu’on fait,
se placer dans un lieu qui convie d’emblée les partenaires de la relation de communication à s’intégrer dans un système d’interaction spécifique qui consiste d’abord à regarder 
et entendre les activités qu’on montre qu’on fait. »

 

Le fait théâtral

L’expression « fait théâtral », au-delà de la séance, considère le rôle social, variable selon les époques et les lieux, du théâtre. Cette expression incite à porter attention aux rôles et fonctions que le théâtre a pu occuper aux différentes époques de son histoire.
Elle invite aussi à décrire et analyser de manière opérante des formes extra-occidentales du spectacle vivant.

 


L’appropriation de ces termes dans les programmes

 

Ces nouvelles unités méthodologiques apparaissent dans les programmes d’enseignement optionnel et de spécialité. Elles sont transposées et expliquées plus précisément par endroit, afin d’éclairer le professeur et de soutenir sa réflexion tant didactique que pédagogique.

La définition de la « séance théâtrale » dans les programmes

Une définition plus complète de la « séance théâtrale » est donnée dans la section « Repères pour l’enseignement » du programme d’enseignement optionnel pour la classe de première.

« Ce terme désigne non seulement la réalisation scénique proposée aux spectateurs, mais aussi la représentation théâtrale appréhendée dans toutes ses dimensions : le lieu théâtral ; le temps et la durée choisis ; la présence et la constitution du public ; le monde imaginaire créé aussi bien que l’évènement éphémère et concret qu’est un spectacle ; la dimension sociale, au sens large, de l’évènement théâtral, fait de codes et de rites à la fois spécifiques et sans cesse ré-agencés ; les enjeux variables du théâtre selon les époques et les cultures.

La pratique de plateau et les spectacles vus sont des occasions privilégiées de découvrir et d’interroger les façons multiples dont la création théâtrale, loin de se limiter à la construction d’un objet scénique, prend sens en relation ou en résonance avec le monde dans lequel elle se situe. »

 

L’infléchissement opéré par rapport aux programmes précédents est clair. En plus de l’analyse dramaturgique ou sémiologique qui reste valide pour certains spectacles, la prise en compte de la séance théâtrale incite le professeur à travailler :

sur une approche sociale du théâtre (en interrogeant par exemple les différents publics des lieux fréquentés par ses classes) ;

sur une approche anthropologique (en rappelant par exemple les formes et les fonctions, changeantes et plurielles, du théâtre dans les sociétés où il apparaît) ;

sur une approche plus sensible fondée sur les perceptions du spectateur (certains spectacles visent davantage à toucher, à suggérer qu’à signifier : c’est le cas par exemple des spectacles de Bob Wilson).

Le professeur choisit de sensibiliser ses élèves au jeu sans cesse renouvelé entre les éléments constitutifs de la représentation ou du spectacle qu’ils voient, étudient, ou construisent eux-mêmes au plateau. Ainsi, par exemple, il peut faciliter l’entrée des élèves dans l’étude de certains spectacles et libérer leur parole par l’étude de la variation des interactions que le spectacle entretient avec son public, ou en leur demandant de réfléchir au dialogue que de nombreuses productions artistiques entretiennent aujourd’hui avec des thèmes présents dans la société.

 

La définition du « fait théâtral » et de sa dimension performative dans les programmes

Le fait théâtral est défini dans le « Préambule spécifique à l’enseignement de spécialité du cycle terminal » :

« [L]es élèves apprennent à reconnaître le théâtre, sous les multiples formes qui sont et ont été les siennes, comme une pratique sociale au sens large – ce qu’on peut appeler le fait théâtral. Ils réfléchissent notamment aux modalités de son inscription dans une société donnée, et sa fonction variable selon les époques et les situations, à la relation qu’il propose à un public diversement composé selon les contextes et les périodes historiques. »

La dimension performative du théâtre permet de considérer le théâtre comme un art du présent qui ne peut se saisir parfaitement que si l’on prend connaissance du contexte dans lequel il apparaît et se développe. Par exemple, ce n’est pas la même chose d’être le participant des Dionysies, fêtes religieuses réglées par la cité d’Athènes, ou celui d’un mystère chrétien au Moyen Âge, que d’être spectateur d’une farce dans ce même Moyen Âge ou encore de la représentation que fait un collectif du Capital de Karl Marx dans un hangar aménagé en théâtre. La prise en compte de l’aspect social et anthropologique du fait théâtral vient donc compléter les approches dramaturgique et/ou esthétique des spectacles vus ou des mises en scène étudiées. Cette mise en perspective plurielle du théâtre le situe au carrefour de champs disciplinaires multiples : littérature, esthétique, sociologie, anthropologie.

Les incidences de l’introduction des notions de « séance théâtrale » et de « fait théâtral » sur les progressions élaborées par les professeurs

Les programmes portent l’accent sur tel ou tel élément constitutif de la « séance théâtrale » ou du « fait théâtral ». C’est toujours l’objet-théâtre qui est étudié par le professeur et l’artiste partenaire dans ses dimensions poétique, esthétique, sociale, voire anthropologique et politique, sensible autant que raisonnée. Cependant, chaque enseignement, à chaque niveau, invite l’élève à porter un éclairage différent sur le théâtre.

Pour aider le professeur dans l’élaboration de ses progressions, les indications et conseils qui suivent mettent en exergue les éléments d’étude privilégiés à chaque niveau de l’enseignement du théâtre.

L’introduction des unités méthodologiques de « séance théâtrale » et de « fait théâtral » conduisent le professeur à penser ses progressions en termes de relations dynamiques :

relation entre les composantes de la représentation ;
relation entre le théâtre et les autres arts ;
relation entre la représentation et son public lors de la performance ;
relation entre le théâtre et la société ;
relation entre le théâtre contemporain et les théâtres du passé ;
relation entre la pratique d’acteur et de spectateur, entre l’abord sensible et l’abord réfléchi des élèves, complétée par des savoirs culturels et théoriques.


L’ensemble participe à la construction à la fois de l’esprit critique et de la culture de l’élève.

 


Les spécificités de l’enseignement optionnel et de spécialité

 

En enseignement optionnel

La double pratique d’acteur et de spectateur de l’élève est toujours privilégiée. Ces rôles entrent en relation avec un ou plusieurs autres éléments constitutifs de la séance théâtrale.

Construire une progression dynamique qui invite l’élève à réfléchir sur la manière dont les différents éléments de la séance théâtrale jouent entre eux. Organiser cette progression autour d’un, deux ou trois projets choisis d’un commun accord par le professeur et son partenaire, et d’une programmation aussi variée que possible qui sert de point d’appui privilégié au professeur dans sa progression. Choisir les savoirs (textes, points d’histoire du théâtre, paroles de praticiens) et organiser les rencontres avec les équipes partenariales pour éclairer les éléments constitutifs de la séance qui sont travaillés. Privilégier l’approche synchronique, que des incursions dans le temps et dans l’espace éclairent par une approche comparatiste. Faire jouer le « double regard de l’artiste et du professeur » sur le travail de l’élève pour l’inviter à une ressaisie réflexive de sa pratique.

 

• En enseignement de spécialité

Il s’agit de privilégier l’approche diachronique sur les deux années, comme dans les anciens programmes : choisir deux ou trois objets d’étude qui constituent chacun un champ pratique et théorique à explorer sous l’angle dramaturgique, esthétique, mais aussi historique, anthropologique et sociologique, mettre en relation le ou les textes étudiés avec l’histoire.

 

  • En seconde

En seconde, mettre l’accent sur les relations multiples et variées entre l’acteur et le spectateur, parce que ce sont les deux rôles que va successivement tenir l’élève dans son apprentissage.

Se servir du « double regard de l’artiste et du professeur » et des expériences sensibles de l’élève pour l’aider à construire des savoirs.

Structurer la progression en fonction des relations entre acteur, spectateur et lieux théâtraux. En effet, les relations entre acteur et spectateur s’organisent dans un lieu aux caractéristiques fluctuantes. Ainsi, l’étude des lieux théâtraux dans la manière dont
ils s’inscrivent dans l’espace social pour ouvrir un dialogue avec un public potentiel, les rapports qu’entretiennent en retour les hommes et les femmes avec eux, le rapport scène-salle, les propositions scénographiques pour une œuvre donnée, l’occupation chaque fois singulière de l’espace scénique par l’acteur ou l’actrice et les relations qu’il tissent avec le spectateur, les réactions et émotions de ce spectateur, singulier et membre de l’assemblée théâtrale, le ou les lieux qu’il fréquente, sont des exemples de relations qui conduisent les choix didactiques.

Mettre en place une programmation aussi variée que possible, s’appuyer sur elle pour la construction des savoirs. Prendre ces quelques indications comme la ligne directrice de la progression, non comme un frein réducteur à d’autres explorations.

 

L’enseignement optionnel en première

Choisir avec l’artiste partenaire deux ou trois projets à mener dans l’année.

Construire une programmation la plus variée possible, dans un dialogue avec les lieux partenaires.
Partir de l’approche pratique et sensible de l’élève acteur et spectateur pour l’éclairer par des savoirs.
Choisir ces savoirs (paroles de praticiens, textes théoriques) pour éclairer la définition d’une séance théâtrale, et permettre à l’élève de mesurer les liens entre la représentation (c’est-à-dire les choix effectués et leurs interactions) et la performance comprise comme l’événement théâtral qui s’adresse à un public donné dans un temps et un lieu précis.

Ainsi, permettre aux élèves de mieux saisir le dialogue sans cesse renouvelé qu’entretient le théâtre avec la société dans laquelle il s’inscrit.

Introduire l’histoire des formes théâtrales, des codes et des conventions, l’étude dramaturgique, interroger la place du texte : mesurer la manière dont ces différents éléments permettent d’aborder « les questionnements politiques, sociologiques, esthétiques liés à la scène ».

Inscrire le théâtre comme une pratique singulière, avec ses codes et ses conventions qui entrent en dialogue avec les thèmes et les préoccupations de la société dans laquelle ils se développent. Les projets décidés avec l’artiste partenaire deviennent à leur tour l’occasion pour les élèves d’interroger leurs propres choix au plateau, en lien avec les préoccupations du monde dans lequel il évolue.

Organiser des allers-retours constants entre la double pratique de spectateur et d’acteur de l’élève, sa créativité, son approche sensible et son approfondissement réflexif grâce aux apports culturels.

Le programme limitatif sur un thème conduit la progression de l’année autour d’un projet fédérateur choisi d’un commun accord entre le professeur et son artiste partenaire.

 

  • L’enseignement de spécialité en première

Comme dans les précédents programmes, organiser la progression autour de deux ou trois objets d’étude participant de l’histoire du théâtre occidental.

Veiller à ce que ces objets viennent compléter le programme limitatif de la terminale enseignement de spécialité.

Pour construire le point de vue esthétique de l’élève, axer la progression sur la variété des processus de création et de réception dans l’histoire, les choix d’agencement des composantes de la représentation, le dialogue avec les autres arts.

À partir de la formation de ce point de vue esthétique, aller au décryptage du théâtre comme fait social, en utilisant la notion de « performance », c’est-à-dire l’inscription de la représentation dans un temps et un lieu donnés qui informent sur le rôle et les enjeux anthropologiques du fait théâtral dans l’histoire.

Réfléchir aux choix de la programmation des spectacles et aux apports théoriques en lien avec la pratique de plateau, afin d’instaurer des moments d’approfondissement, de prolongement ou de comparaison stimulants.

S’appuyer, toujours, sur la double pratique d’acteur et de spectateur de l’élève.

 

  • L’enseignement de spécialité en terminale

Le programme limitatif propose deux objets d’étude qui conduisent la progression de l’année dont l’objectif est un approfondissement des objectifs travaillés en première.